Karine Lambert, L’immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommes

Les jachères de l’amour

Karine LAMBERT, L’immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommes, Paris, Michel Lafon, 2014, 256 p., 14,95 €

karine lambert l immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommesLe titre du premier roman de Karine Lambert est explicite. Tout – ou presque – se passe dans cet « immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommes ». Dans ce gynécée moderne, farouchement fermé à la funeste gent masculine, vivent cinq femmes plus le chat Jean-Pierre, seul mâle admis et choyé par les habitantes des lieux. Toutes ont connu une mésaventure sentimentale qui les a conduites à écarter « définitivement » l’amour de leur vie.

Toutes, sauf Juliette, locataire adventice et provisoire, rétive à l’embargo sur le sexe et en quête (laborieuse) d’un prince charmant. À l’étage supérieur, La Reine, ancienne danseuse-étoile au corps malmené par une trop longue pratique, vit au milieu de ses souvenirs et de ses plantations de bambous. Elle a hérité la maison d’un de ses amants d’autrefois et n’y héberge que des femmes écartées de ce qu’elle même n’est plus en situation de vivre. Frustration qu’elle a ainsi convertie en une sorte de sagesse et d’exigence de vie. C’est le personnage le plus pittoresque, le plus attachant aussi, qui rappelle à certains égards GJ, la femme-gourou qui règne sur le chimérique Paradise dans Top of Lake, de Jane Campion. Quant aux autres femmes, une fois exposées les circonstances et les déconvenues qui ont fait d’elles des victimes, leur présence se limite pour la plupart aux relations et complicités internes d’amies amenées aux mêmes allergies sentimentales.

À l’exception de Juliette, la surnuméraire, qui après avoir longuement navigué en vain sur l’Internet du cœur, contribuera à l’éclaircie d’un épilogue rassurant. Il suggère en effet que la race des gentlemen et des princes charmants n’est – peut-être – pas éteinte en totalité. Avec ce premier roman, Karine Lambert entre, avec fraîcheur et un certain humour, dans le cercle de plus en plus large des femmes-écrivains dont les rebellions féministes sonnent le glas des écrivains pour dames.

Ghislain Cotton


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°183 (2014)