Ariane LE FORT, On ne va pas se quitter comme ça?

Le vide et le plein

Ariane LE FORT, On ne va pas se quitter comme ça ?, Seuil, 2010

Dans On ne va pas se quitter comme ça ? Ariane Le Fort reprend les thèmes et les modes d’écriture qui lui sont chers. Tout d’abord, un  fonctionnement en triptyque autour de trois personnages : Irène, Vincent et Gabriella. Ensuite, une rupture, celle entre Vincent et Gabriella. Enfin, un récit marqué par la brièveté des chapitres.

Il est intéressant de constater que chez Ariane Le Fort beaucoup de choses commencent par une rupture, que l’on songe à Beau-Fils où Lili quitte son compagnon, le père de Mathias, ou à son premier roman L’eau froide efface les rêves dans lequel Martin, depuis qu’il a rencontré Ora,  rêve de se débarrasser de Marie aux sentiments bien encombrants.

Dans ce dernier roman, la rupture amoureuse est là entre Gabriella et Vincent, mais elle ne constitue pas le début du roman qui s’ouvre par l’annonce de la mort de Gabriella. Une « absente » qui est pourtant le personnage central de la triangulation, celle vers laquelle tous les intérêts convergent et celle à partir de qui l’histoire d’Irène et de Vincent se construit. Gabriella qui concentre les regards, à commencer par ceux d’Irène qui se fait de temps à autre narratrice et, qui d’observation en projection, tente d’approcher de Gabriella, personnage énigmatique. Gabriella qui ne passe et ne vit que par les regards d’autrui, qui ne peut vivre en quelque sorte que par tiers ou par procuration, est en cela très symptomatique des personnages d’Ariane Lefort. La condition de vie, à savoir le regard de l’autre, devenant en quelque sorte la difficulté même de vie pour ne pas dire son impossibilité. En effet, comment correspondre aux attentes, donner le change, faire coïncider continuellement le reflet et l’objet ? Une réalité humaine résumée brillamment par Nicolas Bouvier dans Le vide et le plein : « L’être le plus proche devient aussi par instants celui qu’on hait le plus : miroir fidèle de nos insuffisances et de nos défaites. Comme si en brisant le reflet on supprimait l’objet. Cela nous ramène à l’illusion dans l’édification de l’être. L’illusion ou le souvenir qu’on peut avoir d’un soi potentiel est un aussi bon moteur que l’humilité ; on marche tantôt sur l’un tantôt sur l’autre. »

Des personnages, humains, trop humains, soumis aux flottements, aux hésitations, aux glissements. Victimes de petites chutes, souffrant du lent effeuillage, de soi par soi et par autrui, qui amène au constat inévitable de la carence. Gabriella, l’être vers qui tout converge, est l’être qui ne peut échapper à la sensation de sa propre vacuité. Une inconsistance qui une fois perçue dans un moment de lucidité fugace doit être noyée par une reprise du jeu de rôle, par un nouvel éblouissement qui incite Gabriella à croire, sur un mode quasi superstitieux, que l’autre : le mari (Vincent), l’amant (Stéphane) ou l’amie (Irène) peut remplir de plein le vide qui crie en elle.

Dans ce dernier roman, Ariane Le Fort reprend un même motif, mais avec des variations d’une subtilité infinie, dans une écriture, claire, limpide et efficace qui fait que le lecteur ne lâche pas. Un lecteur qui, à ce rythme-là, souhaite voir ces variations suivies de nombreuses autres.

Laurence Ghigny


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 163 (2010)