Les belles équipes

amélie nothomb et robert

Amélie Nothomb et la chanteuse Robert

Si Amélie Nothomb est célèbre en tant que romancière (certains diront dialoguiste) et personnage médiatique, on sait peut-être moins qu’elle a aussi été parolière pour Robert, chanteuse électro-pop que certains aficionados suivent depuis le début des années nonante. Cette association n’est pas sans rappeler celle de Françoise Mallet-Joris et Marie-Paule Belle, qui a fait les beaux jours de la chanson française pendant plus de quinze ans.

À la rentrée 2002 a paru le onzième roman d’Amélie Nothomb, Robert des noms propres. Le titre, clin d’œil au célèbre dictionnaire, ouvrait une série de lectures possibles mais ce n’est qu’en arrivant à la presque fin du livre qu’on se rendait compte qu’il s’agissait de l’histoire de romancée de la chanteuse au prénom de garçon. Quelques jours après la parution de ce livre sortait Celle qui tue (Tréma/Distrisound), le troisième et très bel album de Robert. Retour sur cette collaboration.

robert celle qui tue

Avant cette sortie groupée, les fans d’Amélie Nothomb avaient déjà entendu parler de la chanteuse puisqu’en 2001 l’écrivaine emmenait Robert avec elle sur les plateaux de télévision et ne tarissait pas d’éloges à son sujet dès qu’elle était interviewée. À cette époque venait de ressortir Princesse de rien, son deuxième album avec, en titre inédit, « L’appel de la succube », dont l’écrivaine avait signé le texte. Ostensiblement, elle voulait donner un coup de pouce médiatique à la chanteuse dont la carrière n’arrivait pas à décoller. (Démarche qu’elle ne reproduira pas à la rentrée 2002 où elle ira seule répondre aux questions des journalistes. Albin Michel interdira même que paraissent les photos où elles posaient ensemble. Quand La Libre Match outrepassera ce refus de publication, la journaliste Élodie Weymeels subira les réprimandes de l’attachée de presse d’Amélie Nothomb.)

nothomb robert des noms propresLa première des chansons de Robert due à la plume d’Amélie Nothomb n’est pas « L’appel de la succube » mais « Celle qui tue » (qui est d’abord un titre de chanson avant d’être celui de l’album). Robert et Amélie se connaissaient depuis quelques mois. La chanteuse traversait une période difficile psychologiquement et l’écrivaine, fidèle à sa réputation de femme attentive et prévenante, lui écrivait quotidiennement un fax, qu’elle envoyait à heure fixe pour servir de colonne vertébrale aux jours fragiles de son amie. Sur un de ces fax (daté du 26 juin 1998), figurait un texte rimé, « Celle qui tue » (à comprendre autant dans le sens populaire de « cette fille est canon, elle me tue » que dans celui de meurtrière). Robert a pensé que mis en musique, il pouvait devenir une chanson et a demandé à Mathieu Saladin, son compositeur de mari, de se mettre au travail. Fiers du résultat, ils ont pensé qu’ils ne pouvaient en rester là, qu’il fallait continuer. Mathieu Saladin a envoyé ses mélodies sur CD à Amélie, qui s’est mise en quête de mots à placer sur la musique. Il lui fallait en moyenne trois jours pour finir un texte. Robert qui, quand elle écrit ne le fait que dans les affres et les difficultés, a été très surprise, à ce qu’elle a pu nous dire, de la rapidité et de la facilité avec lesquelles Amélie concoctait les siens. L’écrivaine a, on s’en serait douté, une explication hyperbolique de son travail : « Quand je recevais une mélodie de Mathieu Saladin, je l’écoutais cinq cent cinquante fois en essayant de comprendre, ce qui n’est pas facile pour moi. Je me demandais ce qu’il y avait dans cette musique, quelles étaient les paroles qui s’y cachaient. Il fallait respecter la musique, ces chansons ne devaient pas devenir un étalage des états d’âme d’Amélie Nothomb. Le but du jeu était de servir la musique. Dans ma tête, il y avait tout un orchestre. Même quand j’écris mes romans d’ailleurs, dans ma tête il y a tout un orchestre mais je suis la seule à l’entendre »[1]. La plupart des chansons signées Amélie Nothomb se retrouvent sur le troisième album de Robert, sauf, comme on l’a déjà signalé plus avant, « L’appel de la succube » qui figure sur le deuxième.

Le plus remarquable dans cette collaboration c’est que la romancière a donné un ton nouveau, une dimension supplémentaire au répertoire de la chanteuse et à son personnage. Elle a transformé celle qui s’imagine volontiers « princesse de rien » en une fière combattante. Dès lors, celle-ci n’a plus seulement été celle que l’on tue mais aussi celle qui tue, plus uniquement celle que les hommes envoient valser dans le décor mais parfois celle qui vit des amours interdites, voire mortelles… Et surtout, dans « Requiem pour une sœur perdue », l’ultime ritournelle du disque, comme dans Robert des noms propres, elle est celle qui assassine… Amélie Nothomb. « Tu n’aurais pas dû, Amélie / N’acheter qu’un billet d’avion / Aller au Japon sans Robert / Sans ta sœur sans ma permission / […] Je t’avais bien dit, Amélie / J’interdis les départs sans moi / Tu reposeras bien gentille / Immobile au pied de ta sœur… » Ce requiem est aussi celui de la fin de leur collaboration qui, d’après ce que l’on a pu comprendre, ne connaitra pas de suite et donc pas les beaux jours qu’a pu vivre celle formée de Françoise Mallet-Joris et Marie-Paule Belle dans les années septante et quatre-vingt.

 

Trente ans plus tôt

francoise mallet joris

Françoise Mallet-Joris

Comme la paire Nothomb/Robert se complétait d’un troisième artiste (Mathieu Saladin), celle que formaient Françoise Mallet-Joris et Marie-Paule Belle comptait un troisième larron, Michel Grisolia, un ami d’enfance de cette dernière. Remarquons que ceux-ci ne se répartissaient pas les rôles de la même manière : Marie-Paule Belle composait, chantait et Françoise Mallet-Joris co-signait les textes avec Michel Grisolia. Ils travaillaient aussi différemment. Si Robert, Mathieu Saladin et Amélie Nothomb collaboraient à distance, les trois autres imaginaient leur association comme un véritable travail d’équipe : « On discutait, on se chamaillait, on échangeait, a déclaré Françoise Mallet-Joris. C’était une rupture totale avec le métier d’écrivain qui est très solitaire. La création d’une chanson est en outre techniquement très différente de celle d’un livre. Il faut se tenir à une histoire et à des émotions brèves ». Le premier album a paru en 1973 et comportait comme chanson comique le fameux « Wolfgang et moi ». Mais il faut le signaler, si Marie-Paule Belle est surtout connue pour ses chansons un peu délurées genre « La Parisienne » (son plus grand succès à ce jour), ces chansons sont des exceptions, les autres, plutôt mélancoliques, creusaient régulièrement la veine des amours finies, des êtres et des villes que l’on quitte, qui nous quittent avec cette originalité d’être ancrées dans un certain réalisme et de poser un regard ironique sur le monde contemporain. Un des sommets de cette fructueuse collaboration (dix albums entre 1973 et 1989, Michel Grisolia ne participant pas aux deux derniers) reste peut-être celui de 1976, Maman, j’ai peur, avec ses magnifiques chansons, « Je veux pleurer comme Soraya », « Ces lettres auxquelles on ne répond pas » et le sublime « Quand nous serons amis », qui n’est pas loin de l’ambiguë « Avec le temps » de Léo Ferré :

Quand nous partirons en week-end
Pour Deauville ou pour Saint-Tropez
Ce sera sans nous disputer
Oui ce sera sans nous disputer
Nous nous rejoindrons le matin
Moi sans rimmel toi pas rasé
Et nous nous sentirons très bien
Oui et nous nous sentirons très bien
Quand tout ira bien quand nous serons amis
Sans plus de mensonge sans plus de jalousie
Sans plus de colère sans plus de mystère
 Notre amour sera fini

Tous les disques de cette belle équipe n’ont pas connu la même réussite, la même fortune, et la carrière de Marie-Paule Belle a subi quelques revers, immérités. Depuis qu’elle est revenue en piano solo en 1995 avec son propre répertoire et celui de Barbara, le succès lui sourit à nouveau, même s’il n’a pas encore permis à ses anciens vinyles de ressortir en CD. Ce qui ne serait que juste récompense.

Michel Zumkir

[1] D’après un entretien réalisé par Aurélien Tourette et que l’on peut lire dans Michel ZUMKIR, Amélie Nothomb de A à Z. Portrait d’un monstre littéraire, Le grand miroir, 2003, p. 151-152.


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°130 (2003)