Les chemins de la création : Xavier Hanotte

Xavier Hanotte

Xavier Hanotte

Imaginer, rêver une autre vie. Et puis écrire pour s’en approcher au plus près. Frôler la vérité des situations, des personnages. C’est tout le contraire d’un métier, explique Xavier Hanotte. Une sorte de passage de l’ange, en quelque sorte. Le réalisme magique n’est pas loin.

Il est rare qu’un écrivain dise ne pas vouloir vivre de sa plume. Rare aussi qu’il considère l’écriture comme une activité secondaire par rapport à l’imagination. Cet écrivain existe pourtant, et nous l’avons rencontré. Xavier Hanotte habite le rez-de-chaussée d’un petit immeuble à Woluwe-Saint-Pierre. Il possède également une maison à Malonne, mais c’est dans son appartement bruxellois qu’il se sent bien pour écrire. Les pièces y sont petites, un peu sombres, mais il y règne une ambiance chaleureuse et confortable. C’est son havre, son cocon, sa tanière. Un de ses romans s’appelle d’ailleurs Ours toujours, et comme la plupart de ses livres, est plus ou moins autobiographique. De l’ours, il n’a pourtant que le côté bien léché. Xavier Hanotte est un être affable, qui apprécie et recherche la compagnie de ses congénères. Une espèce à protéger, sans aucun doute.

Le rêve de beaucoup de ceux qui écrivent serait de vivre de leur plume. L’avez-vous déjà envisagé pour vous-même ? Et matériellement, pourriez-vous le faire ?
Xavier Hanotte : Oui, je pourrais sans doute y arriver. À condition d’augmenter mon rythme d’écriture et de manger un peu plus souvent des pâtes… Mais je ne conçois pas du tout une chose pareille. Je sais que d’autres en rêvent, dans mon cas c’est totalement inimaginable. Car cela deviendrait une obligation, avec toute l’angoisse que cela suppose. Or pour moi, obligation de produire égale impossibilité de produire. Je n’ai pas envie d’être obligé, sinon l’écriture deviendrait une prison. Je peux m’obliger, moi, à écrire, mais à condition de rester le patron. Cela me fait penser à mon père, qui était architecte et qui disait : je croyais qu’en étant indépendant, je n’aurais pas de patron, en fait j’ai autant de patrons que de clients. Je n’ai pas envie d’avoir des lecteurs comme patrons. Ce n’est pas par hasard que je travaille dans une boîte de marketing. Je sais ce que veut dire calibrer un message pour un public donné. Certains écrivains calibrent leurs textes pour un utilisateur final qui est le lecteur. Loin de moi d’exprimer sur eux un jugement péjoratif. Il y a des écrivains qui ont du flair, qui sentent ce que le lecteur demande, et qui peuvent même prendre du plaisir à cela. Mais alors ça devient un métier, et c’est précisément ce que je ne veux pas. Ne peuvent aimer mes livres que les gens qui d’une certaine manière me ressemblent. Non pas que je me sente unique. Mais quand je vois ce qui paraît, je n’ai pas l’impression d’appartenir à une norme. On ne peut pas vouloir écrire au plus proche de ce qu’on est et souhaiter en même temps avoir un immense lectorat. Chez moi il y a toujours un étonnement dans le fait même d’être publié, parce que mes bouquins sont tellement peu faits pour la publication. À chaque nouveau livre, c’est le même émerveillement.

Écrire

À supposer que vous disposiez de tout votre temps, pensez-vous que vous produiriez davantage ?Non. Je ne suis pas quelqu’un qui s’ennuie. Je trouverais sûrement des tas d’autres choses à faire. Je consacrerais plus de temps à la traduction. Imaginer, rêver est fondamental. Transformer l’essai, c’est passionnant. Mais l’écriture n’est pas une fascination en soi. Je suis fasciné par ce qu’elle permet de faire. À mes yeux, l’écriture est purement un moyen. Écrire pour écrire ne m’intéresse pas du tout.

L’écriture ne serait donc pas l’étape essentielle dans l’élaboration d’un roman ?
Non, pour moi, l’écriture n’est jamais qu’un aboutissement. Le plus important, c’est l’imagination. Écrire, c’est essayer de s’approcher de ce qu’on a vu, de ce qu’on a entendu, de ce qu’on a rêvé. Je suis souvent insatisfait de ce que j’écris. Mais quand j’ai le sentiment que j’arrive à quelque chose, c’est que je suis dans l’imaginaire. La thématique du miroir est très présente dans mes livres. Lorsque j’arrive à ces moments où je suis plus dans la fiction que dans le réel, j’ai vraiment l’impression de franchir un miroir.

Si l’écriture, comme vous le suggérez, n’est que la transcription de ce qui existe dans l’imaginaire, est-ce à dire qu’écrire est quelque chose de relativement facile ?
Loin de là. Je ne suis pas de ces écrivains qui se plaignent de souffrir le martyre quand ils sont à leur table, mais il n’en reste pas moins qu’écrire est un travail, et que tout travail comporte sa part de difficultés.

Écrivez-vous vite ou lentement ?
Ça dépend. Il y a des moments où ça avance très vite, au point que vous avez parfois du mal à suivre, et d’autres où vous vous dites que le sommet du col est encore très, très loin. Mais ça, c’est le roman. Avec le roman, il y a toujours des moments où il faut remettre du charbon dans la chaudière. Ce qui prend du temps, c’est la construction. Beaucoup trop d’auteurs sur le marché ne savent pas qu’un roman, ça se construit, c’est de l’architecture. Bien sûr, ce n’est pas que cela, le roman c’est aussi de la tripe. Il n’en reste pas moins que cela doit être construit. Dans mes livres, il y a pas mal d’autobiographique. Mais pour que l’auto­biographique soit supportable, il doit être masqué. Cela, c’est le travail de l’écriture.

Comment se passe pour vous une séance de travail ?
Je m’y mets tout de suite. Il n’y a pas de phase de préparation, en revanche au bout d’un quart d’heure, il faut que je m’arrête, que j’aille boire une tasse de café, etc. Je travaille en général pendant quatre ou cinq heures. À vrai dire je n’ai pas de règles, je fais les choses comme je les sens. Il se peut aussi que je travaille dix minutes et que ce soit fini pour la journée. Même quand ça avance très bien, je ne pourrais pas rester une journée entière à ne faire que ça. Parfois, quand j’arrive à la fin d’un texte, je remarque que le rythme se ralentit, je commence à « jouer petit bras », comme on dit au tennis : est-ce à cause de la fatigue ? ou parce que je n’ai pas envie de quitter ? ou parce que j’ai peur de ne pas savoir comment terminer ? Je doute souvent de ce que je fais, je suis un douteur professionnel. Pour moi, ce n’est jamais gagné d’avance, je ne suis jamais sûr de pouvoir écrire un autre livre.

Quel est selon vous le moment privilégié de l’écriture ?
Le premier jet est souvent pénible, parce que ça ne va pas assez vite, je vois où je veux en venir et je voudrais y arriver tout de suite. Ce que je préfère, c’est la phase de réécriture, c’est là que les choses prennent vraiment forme. Il faut que ça coule, il faut que ça chante. J’ai besoin de lire ce que j’ai écrit à haute voix, ou du moins « à haute voix dans ma tête ».

Construire

Par quoi commencez-vous un roman ? Faites-vous un plan, des fiches de personnages ?
Comme je l’ai dit, un roman ça se construit. Quand j’en commence un, je sais très précisément où je vais. Je ne connais pas tout, mais je connais certaines scènes. Les choses que j’ai imaginées au départ, il va falloir faire en sorte qu’elles tiennent la route, qu’au moins moi je puisse y croire, puisque après tout je suis mon premier lecteur. Au départ, ce qui me vient, ce sont des images, des dialogues, parfois des phrases entières. Des débuts ou des fins de chapitres. J’utilise souvent la métaphore de la poterie. Avant de commencer à monter le pot, il faut aller chercher l’argile et la disposer sur le tour. L’imaginaire, c’est l’argile, la matière brute. L’écriture, c’est le façonnage de cette matière pour obtenir une forme satisfaisante.

Commencez-vous parfois par un chapitre qui se situe au milieu du roman ?
Quand je suis dans la phase imaginaire, oui. Mais pas quand je suis dans le travail d’écriture. Si un chapitre qui vient plus loin m’intéresse davantage que celui que je suis en train d’écrire, ça peut être un excellent stimulant pour y arriver plus vite, pour tracer dans les chapitres plus rébarbatifs.

Vous arrive-t-il de changer d’orientation en cours de route ?
C’est arrivé avec Derrière la colline. J’ai commencé à l’écrire en me disant que le personnage changeait volontairement, qu’il devenait de plus en plus adulte – d’autant plus adulte qu’il me ressemblait beaucoup. Et puis je me suis rendu compte que ce n’était pas possible, que ce n’était pas sa vérité. La vérité, en littérature, c’est très important. La vérité des personnages, la vérité des situations. Mais il n’est jamais arrivé que je change complètement de cap. Des détails essentiels, oui. Des personnages qui sautent, parce qu’ils ne servent pas à grand-chose. Un personnage ne peut pas être une utilité, pour moi c’est une hérésie. Par exemple dans Manière noire, du moins dans la deuxième version, il y avait le personnage de l’inspecteur Massart, qui était le comique de service, celui qui prend toujours les mauvaises décisions, qui a tous les défauts, etc. Je me suis dit que ça n’allait pas, que je n’étais pas honnête avec lui. Donc je lui ai donné une deuxième vie. Quand un personnage n’est pas convaincant, il suffit de le regarder d’un peu plus près, et on trouve les richesses qu’il recèle en lui et n’ont pas été assez exploitées. Un personnage qui n’est là que pour l’intrigue, ça n’a aucun intérêt. Il faut qu’il ait une vérité, quelque chose qui nous le fasse apprécier.

La plupart de vos livres sont à la première personne. Quel avantage y trouvez-vous ?
Je ne sais pas, cela me vient spontanément. Sans doute parce que je ne peux parler que de ce que je connais. Une chose qui m’énerve beaucoup, c’est le dialogue épique, c’est-à-dire le dialogue où l’on parle de faits qui ont déjà eu lieu. Lorsqu’on écrit un livre à la première personne, on s’aperçoit que le personnage ne peut pas être partout à la fois. Alors on essaie de faire passer dans le dialogue des événements qu’il n’a pas vécus. Et là, ça sonne horriblement faux. Il faut s’arranger pour éviter ce genre de subterfuges. C’est l’avantage du roman à la troisième personne, qui donne beaucoup de liberté. Le roman sur lequel je travaille, c’est chez moi une grande nouveauté, est écrit à la troisième personne.

Repérer

Vos romans parlent souvent de lieux qui existent dans la réalité…
Une bonne partie de mes livres se passent en effet dans des paysages existants. C’est assez difficile, parce que d’abord je les intègre à mon imaginaire, puis une fois que je retourne sur les lieux, je suis à la fois dans l’imaginaire et dans le réel. Il m’arrive souvent de prendre des photos. Même si c’est un lieu que je connais bien, il y a toujours des détails qui échappent. Avec les appareils numériques, ce qui est formidable, c’est qu’on peut prendre autant de photos qu’on veut. Il m’est déjà arrivé de suivre en « clip » le trajet d’un personnage. Ça ne servira peut-être à rien, mais ça rassure.

N’y a-t-il pas un côté contraignant dans le fait de parler de lieux réels ? À partir du moment où vous faites ce choix, vous ne pouvez plus les modifier, les arranger à votre façon.
Cela ne me gêne pas du tout, au contraire. Parce que ce sont des lieux riches, imprégnés d’histoire. Je crois très fort au génie du lieu. Je n’évoque que des endroits que j’aime bien. Et écrire des livres à partir d’eux, c’est une façon d’essayer de découvrir pourquoi je les aime. D’ailleurs, chez moi, les lieux sont presque des personnages. J’aime beaucoup les faire partager, aller sur place avec des amis, voire même avec des journalistes. Un critique a dit un jour que j’étais un syndicat d’initiative à moi tout seul…

Plusieurs de vos livres se passent dans les milieux de la police judiciaire. Pour les décrire de manière crédible, vous êtes-vous immergé dans la vie d’un commissariat, comme peut le faire un cinéaste ou un journaliste ?
L’effet de réel est conditionné par le degré de connaissance qu’a le lecteur de ces milieux. S’il s’agit de M. Tout-le-monde, soit il croit ce que je lui dis, soit il ne le croit pas. Mais si c’est un professionnel, à partir du moment où je ne dis pas de bêtise, il va remplir les blancs à sa façon. Je suis incapable de me documenter pour écrire. La documentation, c’est fait pour être digéré, pas pour être rendu. Il y a des écrivains qui dégorgent dans leurs livres toute la documentation qu’ils ont avalée. Personnellement, je déteste cela. D’autant plus lorsqu’il s’agit d’un roman écrit à la première personne. Si on se met dans la peau d’un policier, pour lui les choses que l’on évoque sont normales, elles font partie de son quotidien. Il n’y a donc aucune raison de s’appesantir plus qu’il ne fait lui-même. L’objectif du journaliste est différent, il vise à apporter de l’information au lecteur. Si un roman le fait aussi, tant mieux. Mais ce n’est vraiment pas le but. Contrairement à ce que croient certains, je n’ai jamais mis les pieds dans un commissariat de police. La plupart des choses que je décris viennent de mon imagination. Pour le reste, il suffit de regarder la télévision, on y trouve quantité de reportages bien faits. Il est vrai qu’il y a aussi une part d’invention : il n’y a jamais eu de 22e brigade de la PJ, il n’y a pas de commissariat place des Martyrs. À l’époque où je débutais, les bâtiments étaient vides, et ce qui est amusant, c’est que là où je situe la 22e brigade, se trouve maintenant la librairie Quartiers Latins…

Publier

Comment cela s’est-il passé pour votre premier roman ? Quand Manière noire a été pris par Belfond, vous n’aviez encore rien publié.
Peu de choses, principalement des traductions. J’ai bêtement envoyé mon manuscrit par la poste. J’étais persuadé que cela ne marcherait pas : c’était un premier roman, épais, très ancré dans la réalité belge, et surtout à cheval sur plusieurs genres. C’était un polar sans en être un, il y avait du sociologique, du psychologique… Je connaissais assez le monde de l’édition française pour savoir qu’il a tendance à tout ranger dans des cases. Mon deuxième roman, De secrètes injustices, était encore un peu moins polar. Pour le troisième, Derrière la colline, cela a été le malentendu complet, puisqu’il y est question de la Première Guerre mondiale. Mon propos n’était pas du tout de faire une illustration de la Première Guerre mondiale. Il se fait que pour que l’on y croie, et pour que moi j’y croie, j’ai dû m’assurer de l’exactitude de certains éléments historiques. Mais ce n’est pas un roman historique, même s’il est aussi cela. Quant à L’architecte du désastre, c’étaient des nouvelles qui n’étaient pas vraiment des nouvelles, certaines auraient pu faire des romans chez d’autres éditeurs, il aurait suffi d’utiliser des caractères pour malvoyants… Pour revenir au premier roman, Manière noire, j’étais tellement convaincu que cela ne marcherait pas que j’en avais fait trente exemplaires, chez un imprimeur, avec une présentation soignée, recto-verso, etc., en me disant qu’on allait me les remballer et qu’ainsi je pourrais les distribuer à mes amis. Les quinze premiers, je les ai envoyés à ce que je pensais être le panthéon de l’édition française. Belfond a réagi assez rapidement, si bien que je me suis retrouvé avec mes quinze autres exemplaires sur les bras.

Vous n’avez pas essayé les éditeurs belges ? Après tout, vos romans ont une coloration très nationale, ce qui vous donnait a priori plus de chances d’être accepté.
À ma grande honte, je dois avouer que non, je n’ai pas envoyé le manuscrit aux éditeurs belges. Et pourtant Dieu si je les connais, et s’il y en a que j’apprécie. La vérité est que j’avais prévu les éditeurs belges après, au cas où ça ne marcherait pas en France.

Par la suite, vous êtes toujours resté fidèle au même éditeur.
Oui, j’ai parfois été approché par d’autres, mais comme je ne suis pas quelqu’un qui vend des masses de livres… Mon éditeur n’a jamais bu la tasse à cause de moi, mais il n’a jamais non plus fait fortune grâce à moi.

Si ce n’est pas indiscret, à combien se tirent vos livres ?
Cela va de trois mille exemplaires à douze mille, pour Derrière la colline.

Quel genre de rapports avez-vous avec votre public ?
Il y a une chose un peu frustrante quand vous êtes écrivain, c’est que souvent vous n’êtes pas apprécié pour de vraies raisons. Le nombre de gens qui viennent me trouver en disant, ah, c’est formidable, ça me rappelle mon grand-père… Je me dis que c’est très bien s’ils peuvent se reconnaître dans mes livres, mais l’essentiel n’est pas là. Quant aux vrais lecteurs, aux lecteurs plus pointus, ce ne sont généralement pas ceux-là que vous rencontrez. D’un autre côté c’est assez gratifiant, parce que cela veut dire que vous écrivez des livres avec plusieurs niveaux de lecture possibles. Mes romans sont assez foisonnants, je n’aime pas trop les récits linéaires, qui passent par un point A, un point B… Je me lève, je prends ma douche, je pars au travail…

Donnez-vous vos textes à lire avant la publication ?
J’ai un cercle de lecteurs qui sont des amis. Je n’ai aucun problème à leur donner un livre chapitre après chapitre, pour autant bien sûr qu’ils soient suffisamment aboutis. Ce que je leur demande n’est pas facile, car mes livres sont très construits, avec des rappels d’une partie à l’autre, et si on les reçoit chapitre par chapitre, il faut pouvoir raccrocher les wagons. Faire lire un manuscrit à d’autres personnes, cela permet souvent de gagner du temps. Il y a des choses sur lesquelles on passe parce qu’on veut avancer. C’est un peu comme le caillou dans la chaussure : ça n’empêche pas de marcher, mais c’est gênant. Il y a des lecteurs qui repèrent ce genre de choses. Ça m’arrive de protester, mais je sais qu’ils ont raison et qu’il faudra que j’y revienne. Ça permet de se relire soi-même avec des yeux différents, de prendre de la distance, de mieux cerner l’enjeu réel du livre. Par ailleurs, mes amis apparaissent dans mes romans, avec bien sûr une part de transposition, cela me permet de les inclure dans mon jeu. Manière noire, il m’arrivait de le lire à un ami, qui a servi de modèle au commissaire Delcominette, bien que pas plus que moi il ne travaille dans la police. Pour Trientje, une inspectrice de la PJ, cela s’est passé de manière assez particulière : le personnage préexistait dans le roman, ce n’est qu’après que j’ai trouvé quelqu’un qui lui ressemblait et qui est venu en retour nourrir le personnage… 

Où, quand, comment ?

Dedans ou dehors ?
J’écris toujours au même endroit. Quand il m’arrive d’écrire ailleurs, c’est toujours dans un lieu bien déterminé. De ce point de vue, je suis plutôt un sédentaire. Ce n’est pas que je ne pourrais pas écrire ailleurs, mais ça ne m’intéresse pas. Cela tient aussi au fait que pour moi, comme je l’ai dit, l’écriture n’est pas le moment essentiel. Un livre, ça se compose, ça se vit, ça s’imagine. Et ça, je peux le faire partout et tout le temps.

Le matin ou le soir ?
Je travaille les week-ends, j’aime disposer d’une journée et commencer très tôt le matin. Avant je travaillais le soir, mais c’est devenu plus rare. Maintenant, l’écriture a moins de mystère. J’aime davantage prendre mon temps. Curieusement, cela ne change pas le rythme des parutions. Il m’arrive aussi d’écrire au bureau, sur le temps de midi. De par ma fonction, je passe toute ma journée de travail devant un écran. Je suis « analyste programmeur » dans une boîte qui compte environ cent cinquante personnes ; une bonne partie de mon travail consiste à gérer un gros fichier de données qui reprend toutes les voies publiques de Belgique. J’ai un statut de salarié à temps plein – sauf depuis un an où je suis passé à quatre cinquièmes temps, ce qui dégage une journée supplémentaire que je peux consacrer à écrire.

À la main ou à l’ordinateur ?
Depuis le début, je travaille à l’ordinateur. Il y a une exception, c’est Manière noire, mon premier livre. Mais c’était un pur accident, je venais de planter mon ordinateur, j’ai dû écrire le premier chapitre à la main. Cela m’a donné un mal fou, à la fin j’avais envie de taper dans la table, je me demande si j’aurais pu le finir sans traitement de texte. En général, je ne tire pas d’épreuves, je corrige directement à l’écran. Ou si j’en tire, c’est purement esthétique. Maintenant, avec les ordinateurs, il y a cette chose merveilleuse qui est le WYSIWYG, le « what you see is what you get ». J’aime que le texte soit beau visuellement. Donc, j’utilise du Garamond, j’ajuste soigneusement le bloc de texte, etc. Je n’aime pas qu’un paragraphe se termine en haut d’une page, alors je m’arrange pour qu’il arrive au moins à la moitié. C’est complètement idiot, parce que quand le livre va sortir, il ne sera pas du tout ainsi. C’est d’autant plus idiot que ça peut générer des aberrations dans le texte. Mais c’est comme ça… Un autre avantage de l’ordinateur, c’est qu’on a l’impression de faire du définitif. Ce qui est très rassurant pour des douteurs comme moi. Je déteste les ratures, je ne suis déjà pas persuadé que je suis un bon écrivain, alors un texte bien présenté a quelque chose de rassurant, c’est comme s’il avait déjà reçu la sanction de l’imprimé.

Daniel Arnaut


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°160 (2010)