Les débuts littéraires de Dominique Rolin

dominique rolin

Dominique Rolin

Le Musée de la littérature, devenu après quelques années Archives et Musée de la Littérature, a été créé en 1958, à l’initiative de Herman Liebaers, alors conservateur en chef de la Bibliothèque royale Albert Ier, et de Joseph Hanse, membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises. Les deux institutions qu’ils représentaient avaient décidé de confier à cette asbl leurs manuscrits modernes concernant les lettres françaises de Belgique.
Depuis cette époque, les fonds des Archives se sont considérablement enrichis, tant par des legs que par des achats. Manuscrits, enregistrement sonores ou vidéos, éditions originales, correspondances, affiches ou programmes de théâtre, revues rares, etc. constituent une trace précieuse de la vie littéraire. Ce sont quelques-uns des trésors dont l’institution dispose que nous vous invitons à découvrir, au fil des numéros, en fouinant dans les archives…

En 1990 et en 1991, la romancière Dominique Rolin, auteur d’une œuvre considérable comportant près de trente volumes de fiction, de théâtre et d’essai, a fait don aux Archives et Musée de la Littérature d’un ensemble très important de livres, de manuscrits, de lettres, de coupures de presse, de photographies et de documents relatifs à son œuvre et à sa vie d’écrivain.

Nous présentons ici, pour la première fois, quelques documents retraçant les débuts de cette étonnante carrière.

Née en 1913 à Bruxelles, Dominique Rolin a 21 ans en 1934 lorsqu’elle achève sa première nouvelle, Repas de famille. Elle en fait parvenir le texte à Georges Marlier, rédacteur de l’hebdomadaire bruxellois Cassandre. Ce dernier reçoit l’auteur, discute, mais refuse l’œuvre qu’il juge trop longue. Quand Dominique Rolin insiste, Marlier la renvoie au directeur de Cassandre, Paul Colin. Celui-ci maintient le refus mais passe la nouvelle à H. Grégoire qui dirige la revue Le flambeau. Grégoire accepte et Le repas de Famille parait dans Le flambeau de 1935. Convaincu cependant par le talent de la jeune femme, Paul Colin lui commande d’autres nouvelles, plus brèves et plus adaptées à son public. Ainsi, du 4 mai 1935 au 1er novembre 1942, Dominique Rolin publiera huit nouvelles et deux contes dans Cassandre, textes jamais repris en volume et dont certains mériteraient d’être redécouverts aujourd’hui. Parmi ceux-ci signalons Les géraniums (publié dans Cassandre le 8 août 1936), un court chef-d’œuvre prémonitoire : en quelques paragraphes serrés l’auteur évoque la violence en sourdine qui règne dans une pension délabrée pour jeunes-filles. Au cœur de cette virulence le rapport mère-fille et l’intimité ravageante entre femmes sont déjà décrits comme le noyau le plus irradiant de toute société, noyau que l’on reverra au travail, avec une subtilité bien plus avérée, dans L’infini chez soi (1980) ou, avec la force émanant d’un style dégagé et mûri, dans son dernier roman qui paraitra chez Gallimard en février 1992 : Deux femmes un soir.

Enfin, une autre nouvelle, La peur, sera couronnée et ensuite publiée par la revue parisienne Mesures dirigée par Jean Paulhan (n°3, 15 juillet 1936). Plus tard, l’auteur intégrera La peur dans son unique volume de nouvelles (Les enfants perdus, Paris, Denoël, 1951).

Un roman refusé

Toujours en 1936, Dominique Rolin achève un premier roman qu’elle intitule Les pieds d’argile et qu’elle soumet à Gallimard trois ans plus tard. Dans une première lettre adressée à « Monsieur Dominique Rollin » [sic], le 21 mars 1939, Gaston Gallimard refuse poliment en s’appuyant sur une note de lecture émanant probablement de Marcel Arland. Le manuscrit des Pieds d’argile ayant été détruit par son auteur, il ne nous reste que la note susdite pour nous donner une idée, somme toute assez précise, de la première tentative romanesque de D. Rolin. La violence dislocation d’une famille habitant une maison isolée « au milieu des pins », l’escapade érotique du père et l’effet de ces événements sur le destin et le caractère d’une jeune fille : autant de thèmes que le lecteur – plongé dans une atmosphère à la fois sordide, cruelle et hallucinée – retrouvera dans Les marais, Les deux sœurs, L’ombre suit le corps etc. Dans une lettre suivante, datée du 3 avril 1939, Gaston Gallimard corrige son erreur quant au sexe de l’auteur, orthographie correctement son nom et se dit « très impatient » de recevoir l’avis du lecteur à qui ont été confiés un ensemble de nouvelles et une partie du roman « Le marais » [sic], roman dont Gallimard espère qu’il « sera bientôt achevé ». Mais en septembre de la même année la guerre éclate et cette correspondance ne connaitre pas de suite. En 1940, Les marais étant achevés, Dominique Rolin, qui vit isolée à Bruxelles dans des circonstances particulièrement pénibles, reprend contact avec Paul Colin. Celui-ci publie le roman en feuilleton dans Cassandre, du 15 décembre 1940 au 16 février 1941. Il projette ensuite la publication du volume par sa « Nouvelle Société d’Édition » à Bruxelles, mais estimant que cette œuvre mérite un grand éditeur parisien, la communique pour finir à Robert Denoël. Ce dernier s’enthousiasme, accepte et transmet des épreuves du livre à Jean Cocteau et Max Jacob, écrivains qui témoigneront immédiatement de leur ferveur. Les marais paraitront chez Denoël en juin 1942. Parmi les convives du premier déjeuner de lancement on signalera Robert Desnos, Jean Cocteau et Yannette Delétang-Tardif. Robert Denoël s’avérera un éditeur bienveillant mais sévère.

Au mois d’août 1942, D. Rolin lui propose un nouveau manuscrit, un roman intitulé d’abord La vallée des larmes, ensuite Les deux sœurs. Le 12 septembre 1942, Denoël écrit une longue lettre à l’auteur dans laquelle il critique le manuscrit dans le détail : « un livre aussi lourd de substance que ‘Les marais’, aussi angoissé, aussi angoissant mais qui semble moins heureux dans sa réalisation ».

Dominique Rolin récrira ce roman qui ne paraitra qu’en 1946. Entre-temps, Denoël aura accepté un récit, Anne la bien-aimée, publié en mars 1944.

Les marais et Anne la bien-aimée seront traduits en flamand par Bert Parloor et publiés à Gand, aux éditions Snoeck-Ducaju, en 1943 et en 1945. En 1947, Dominique Rolin s’installe définitivement en France. Elle publiera l’essentiel de son œuvre successivement aux éditions du Seuil, à nouveau chez Denoël et, enfin, chez Gallimard.

Frans De Haes

 « Il me semble très possible que l’auteur aille assez loin »…

« Une maison au milieu des pins. Le père, la mère, une fillette : Miene et son frère. C’est Miene le personnage central : c’est par ses yeux, par son cœur violent, cruel, avide et enfantin que nous découvrons tout. Tout : rêve et réallité ; et il arrive que nous ne sachions plus où où [sic] finit l’autre. Le père s’éprend d’une camarade de Miene. C’est la désorganisation de la famille. Miene se heurte, se déchire, et se retrouve de plus en plus seule. Mais tout est dans l’accent de ces pages dans leurs couleurs violentes et sombres, dans leur crispation, dans leur lyrisme qui effleure le mélodrame, lais ne fait guère que l’effleurer.

Cela me semble très remarquable. Si l’auteur n’était pas vraiment doué, son livre serait un fatras ridicule. Or, malgré ses outrances, malgré une volonté de paroxysme parfois un peu artificielle, et pour tout dire une littérature un peu trop voyante. Ce livre fait presque constamment allusion à quelque chose de vrai. Il a de la force, il a de la justesse dans l’invraisemblance ; l’auteur possède des qualités certaines d’écriture ; il sait établir une atmosphère, nous faire entrer dans un cauchemar, nous imposer une vie crispée, torturée, violente du monde. On songe un peu aux Hauts de Hurle-Vents dont il est par ailleurs loin d’avoir l’ampleur et l’intérêt. Cela ne va pas, je le répète, sans artifices, sans procédés, sans influences subies. Mais enfin cela n’est nullement indifférent. C’est un livre qu’on aurait publié jadis dans la collection « Une œuvre, un portrait ». J’aimerais à lire autre chose de l’auteur. Je ne suis pas sûr qu’il faille publier ce livre ; mais il me semble très possibles que l’auteur,  s’il est jeune, aille assez loin. »

Avis du lecteur de la N.R.F. sur le texte de Dominique Rolin (document AML 5852/136)


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°71 (1992)