Les territoires de Luce Wilquin

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Luce Wilquin

Leur position géographique – en Province, en Wallonie, à Bruxelles… – contraint bon nombre d’éditeurs à s’inscrire dans la périphérie de l’institution littéraire française, laquelle, on le sait, est largement régentée par Paris. Mais plutôt que de lorgner toujours vers le centre, il arrive que certains d’entre eux décident de lancer des ponts entre deux zones latérales. C’est le cas de Luce Wilquin. Cette éditrice belge, née à Dour et diplômée de l’école d’interprètes de Mons, est en effet installée à Lausanne depuis 1975 et le catalogue de la Maison qu’elle a fondée en 1987 ne compte jusqu’à présent que des auteurs francophones de Belgique et de Suisse.

Mais peut-être l’image du pont est-elle imprécise, puisque Luce Wilquin reconnait que la circulation de ses livres s’opère mal d’une région à l’autre et que c’est dans leur communauté d’origine que ses auteurs trouvent d’abord leur public. Qui, chez nous, connait par exemple Bernard Pichon, dont les Histoires à frémir debout ont tenu en haleine les auditeurs de la radio suisse romande avant de devenir un succès de librairie? Qui a lu Claudine Houriet, Vinciane Moeschler, Michèle Tharin? Il est vrai que ce clivage national connait quelques exceptions, comme les romans des Belges Gérard Adam et Françoise Houdart que la presse romande a commentés et qui se sont vendus à Lausanne et Genève ou, dans l’autre sens, comme la chronique en sept volumes du Suisse Paul Alexis Ladame, Un témoin du XXe siècle, qui a réussi à susciter chez nous aussi l’intérêt de lecteurs férus d’Histoire. Mais globalement, si les ventes des éditions s’équilibrent entre leurs deux zones de diffusion, elles ne se font pas ici et là sur les mêmes titres.

Ainsi donc chacun reste prophète en son pays. De ce parallélisme, il ne faudrait pas déduire pourtant que le soutien des pouvoirs publics et de la presse est le même dans les deux cas : selon Luce Wilquin, en effet, il se manifeste beaucoup plus en Communauté française de Belgique qu’en République helvétique, où ses livres n’ont jamais obtenu ni Prix, ni subsides.

Qu’ils soient l’oeuvre de Belges ou de Suisses, c’est d’abord en fonction d’affinités personnelles que l’éditrice choisit les textes qu’elle publiera, et la qualité du contact avec les écrivains est pour elle primordiale. L’on ne s’étonnera donc pas si l’un de ses auteurs fétiches, la Boussutoise Françoise Houdart, est une amie de longue date. Une fidélité qui se concrétise par la publication de trois titres en quelques années (La vie couleur saisonLa part du feuCamino) et la préparation d’un quatrième pour janvier prochain. C’est également sous le signe de la fidélité que se place sa collaboration avec Gérard Adam. Après La lumière de l’archange, sélectionné en 1992 parmi les finalistes du Rossel, et un recueil de nouvelles intitulé Le chemin de Sainte-Eulaire (1993), Luce Wilquin édite ces jours-ci un nouveau roman de l’écrivain médecin, Mama-la-Mort et Monsieur X.

En sept ans d’existence, les Éditions ont publié une cinquantaine de titres : des romans, surtout, et des nouvelles, mais aussi quelques ouvrages abondamment illustrés, tels Simenon, un autre regard, publié à l’occasion d’un colloque et d’une exposition organisés à Genève en 1988, ou Grèce des Hommes, qui réunit des textes de Jacques Lacarrière et des photos d’Emanuel Sanz. Les auteurs belges occupent une plac importante dans ce catalogue, puisqu’il faut encore citer les romanciers Michelle Morhange, Michel Joiret, Pierre Coran (lequel signait, avec L’éphélide, son premier récit pour adultes alors qu’il est un auteurs à succès auprès du jeune public) ou encore la mystérieuse Vérange. On n’oubliera pas non plus les artistes comme Monique Thomassettie ou Claude Rahir qui sont l’un et l’autre passés par l’écriture pour mieux cerner leur travail de peintre.

Et ce sont encore des auteurs belges que Luce Wilquin a inscrits à son programme de rentrée. Outre Gérard Adam, on trouvera en librairie dès ce mois de septembre un nouveau récit de Françoise Pirart, Le décret du 2 mars, tandis qu’en octobre paraitront Natale, le premier roman d’Anne-Michèle Hamesse, une Bruxelloise qui s’est consacrée jusqu’ici à la peinture, et Une mesure pour rien, de Robert Montal.

Carmelo Virone


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°84 (1994)