Stefan LIBERSKI, Le triomphe de Namur. Cinéroman, La Muette/Le Bord de l’eau, 2011
L’humour façon Liberski dégage un fumet d’anarchie dans la mesure où cet « ex-Snul » a pour salubre habitude de renvoyer dos à dos les « nuisibles » et les « bonnes âmes » qui établissent le fonds de commerce de leurs conversations, de leur intime autosatisfaction et de leurs comportements sur les générosités de la pensée correcte, ce qui ne coûte pas grand-chose et peut rapporter gros. Pour faire court, il n’est jamais dupe d’une société qui encourage et entretient avec maestria une confortable ambiguïté et tous les alibis débilitants d’une béatitude à la Pangloss. C’est son côté Molière. Côté La Bruyère, les caractères qu’il campe résultent d’une observation narquoise qui, cette fois, rend compte des faiblesses et des ridicules qui affectent le genre humain en soi, et particulièrement dans sa confrontation à cet état de choses. Le triomphe de Namur (sous-titré Cinéroman) ne déroge pas à cette règle, même s’il cible un monde précis, celui du cinéma, que Liberski connaît d’expérience et sait plus propice que d’autres aux enflures et aux stratégies funambulesques de l’ego. Loïc Petitjean, présenté comme « expert en marketing compassionnel et en indignation bankable s’avère toujours profondément troublé par la qualité de ses émotions. Son long métrage au titre nimbé d’audace grammaticale Sans-papières sans frontières se veut un film « courageux » qui surfe sur la vague d’un humanitaire particulièrement « sensible » et marqué par « l’urgence ». Ce qu’il cherchait pour accéder à la gloire, c’était « un thème grave (…) qui ferait hocher la tête et murmurer “c’est terrible, c’est ignoble, quand on pense qu’on ne fait rien” ». En vedette de SPSF, il y a Malika Aw, une Africaine superbe et sans-papière authentique. Tout commence par une méprise. Après s’être cru sélectionné pour présenter son film en VIP au Festival du film de Namur (FIFF), il doit se rabattre sur le festival off (et pauvrement doté) de Wépion. Ce n’est que le début d’un parcours assez calamiteux que, face à son équipe, sa paranoïa régente avec hauteur et avec la tyrannie propre aux génies incompris. Seconde déconvenue, le journaliste qui propose une interview ne veut d’autre interlocuteur que Malika dont la troublante beauté émoustille les médias. Las ! Au cours de l’entretien, celle-ci au lieu de paraître accablée par sa condition réelle de sanspapière s’avère être une jeune femme rieuse et directe qui jure méchamment avec le portrait « misériste » que Loïc souhaitait en donner. Les choses vont encore se dégrader lors de l’arrestation de cette « illégale » qui donnera à Loïc l’occasion de donner sa pleine mesure de lâcheté et de débrouille aussi stupide que malodorante. N’empêche, grâce à Malika, à son arrestation et à l’indignation barattée par la presse, le film va connaître un succès foudroyant que Loïc tentera en vain de récupérer pour sa gloire personnelle. Consolation : après avoir donné de sa personne (au sens le plus littéral et physique du terme) lors de sa rencontre fortuite avec un acteur américain de première grandeur, celui-ci a donné son accord de principe pour jouer dans son prochain film. Sujet (bankable et combien sensible) : « la pédophilie dans l’église catholique ». Pour conclure en beauté, Liberski à la fois sarcastique et miséricordieux pour l’ego de Loïc, aligne les intitulés de la vingtaine de prix internationaux remportés par Sanspapières sans frontières qui vont des prix de la Bonté humaine à celui de la Meilleure Image bienveillante, de l’Honnêteté intellectuelle ou du Courage contre la censure (Prix du film de Sous-marin de Waremme). Si le livre est écrit avec le « picratisme » allègre propre à l’auteur et si le tir vise une cible dont il est spécialement proche, on devrait y voir non pas un crachat dans la soupe et encore moins un souci de moraliste dont on devine qu’il n’a rien à cirer, mais une sorte de sociologie d’une amusante lucidité et peut-être, sous les flèches de l’humour, l’habileté suprême d’un chouia d’autodérision absolutoire. Mais s’il fallait toutefois extraire une moralité de ce plaisant jeu de massacre, pourrait-on suggérer notamment que la misère du monde n’attend pas les manifestations de commisération ou même de respect quand elle ne mérite rien d’autre que la justice ? Voilà en tout cas une phrase qui devrait me valoir d’achever la journée avec l’âme en paix…
Ghislain Cotton