Essentielles. Les librairies ont été qualifiées d’essentielles lors de la pandémie de la Covid-19. Cette rubrique en présente l’une ou l’autre, parfois bien décentralisées et d’autant plus proches de publics éloignés des grands centres urbains. Claudine, à Wavre, est une des petites dernières…
La création de Claudine remonte à moins de deux ans. L’ouverture a eu lieu le 10 octobre 2020. Sa fondatrice ? Diane Platteeuw. D’emblée, celle-ci précise que le métier de libraire n’était pas un rêve d’enfant. « Le projet est plutôt né d’une réflexion bien mûrie à un moment de ma vie professionnelle », explique-t-elle. Après plus de sept années à la direction d’une asbl de diffusion culturelle, l’UDA, elle souhaite donner une nouvelle orientation à sa carrière. « Je lis depuis l’enfance, détaille Diane Platteeuw, et j’ai toujours aimé partager mes découvertes littéraires. J’étais déjà prescriptrice pour mes connaissances. De plus, je suis fascinée par la créativité et par le croisement des disciplines culturefpaslles. Ouvrir une librairie, c’est faire de ce partage, de ce goût de la découverte une profession, c’est aussi créer un espace qui participe à la diffusion et à la création culturelles. J’avais aussi envie de créer un projet dans la ville où je vis depuis dix ans et dans laquelle je me suis impliquée ».
« Un sport de combat »
Cela faisait huit années que Calligrammes, la dernière librairie généraliste et indépendante wavrienne, avait dû fermer ses portes à une époque où Amazon était à son apogée et que l’Esplanade, le centre commercial de Louvain-la-Neuve, attirait la clientèle wavrienne. Depuis, il y avait un manque à combler, mais encore fallait-il relever le défi. Car Diane Platteeuw découvrait la réalité d’un commerce bien particulier et ne connaissait absolument pas ce milieu. « J’ai contacté plusieurs libraires en me proposant comme stagiaire. Yves Limauge m’a accueillie dans sa librairie À livre Ouvert – le Rat Conteur à Woluwe-Saint-Lambert. Il m’a ensuite engagée pendant un an. Il m’avait dit à l’époque que tenir une librairie est un sport de combat. C’est lui qui m’a appris le métier avec talent et passion. Je lui dois un immense merci pour son parrainage. Nous continuons à nous voir régulièrement. Beaucoup de gens viennent à la librairie pour me demander ce que je leur conseillerais pour ouvrir ce genre de commerce. Je réponds que le passage par une autre librairie me paraît essentiel. Il faut se cogner à la réalité : la trésorerie, les retours, les négociations avec les distributeurs, être attentive à ses charges fixes, etc. Le syndicat des Libraires Francophones Indépendants (SFLB) est un précieux référent également ».
La jeune entrepreneuse s’est aussi appuyée sur tout un réseau. « Le réseau des librairies indépendantes n’est pas un mythe, insiste-t-elle, et j’ai envie de m’inscrire dans cette dynamique. Entre collègues, nous n’hésitons pas à faire appel à l’un ou à l’autre ». Un réseau de libraires, mais aussi d’artistes et artisans de la région : Camille Stoffel, pour le logo et la charte graphique de la librairie, la menuiserie Marcoux, pour les étagères et les meubles, Alain de Pierpont de l’asbl Hors Jeu pour l’animation de stands Claudine sur le marché, ou encore Mariana Baziret pour la conception de sacs labellisés Coud’cœur. Des professionnels mais également des citoyens et des citoyennes qui se sont mobilisés et qui ont apporté qui un coup de main, qui un intérêt pour l’initiative. Une campagne de financement participatif lancée dès avant l’ouverture via la possibilité d’achat de bons à valoir/chèques cadeau a permis de soutenir la trésorerie de la librairie à hauteur de 14.000 euros ! Des lecteurs lisent pour la librairie Claudine et proposent leurs choix et leurs chroniques en librairie, sur Facebook et sur le site internet à la rubrique conseils lectures.
Une équipe au féminin
Quand on est parent de quatre enfants de 9 à 18 ans, il est pratiquement vain de tenir un commerce de proximité seul si l’on veut concilier tant que faire se peut vie professionnelle et vie familiale. Rapidement, Diane Platteeuw a trouvé du soutien auprès de deux collaboratrices très précieuses : Louisa Van Breusegem, d’une part, Marie-Pierre Jadin d’autre part. « Louisa est stagiaire chez nous. Je l’ai rencontrée dans le cadre d’une réorientation d’études, se souvient Diane Platteeuw. Elle nous apporte la vivacité de ses 25 ans. Elle appartient à la génération Harry Potter qui traque les nouveautés sur les réseaux sociaux. Elle a un contact différent avec les ados et certains viennent pour elle ».
Marie-Pierre Jadin avait, quant à elle, une expérience déjà bien fournie dans le monde littéraire. Romaniste, elle a travaillé en maison d’édition, en bibliothèque, a été rédactrice en chef d’une revue littéraire, a enseigné comme professeure de français langue étrangère et, depuis peu, publié un premier roman, Brasiers, aux éditions Ker, prix Fintro écritures noires 2019. « Des lecteurs sont venus acheter son livre sans savoir qu’elle travaillait ici, sourit Diane Platteeuw en soulignant l’intérêt d’avoir à ses côtés une écrivaine. Elle apporte une touche particulière au conseil. Elle a une manière différente de lire un texte et de qualifier une écriture, un livre. C’est très excitant aussi de se dire qu’elle est en train d’écrire son deuxième roman ». Quand, à son tour, Marie-Pierre Jadin envisage de réorienter sa vie professionnelle, Diane Platteeuw lui propose de devenir son associée. Un local, des conseils, une identité, un concept, un réseau, 85 m² dont les 4.000 ouvrages en stock sont passés à 10.000, le projet était lancé et cela en plein confinement. « On y est allées de manière bravache, à tel point que la librairie a failli s’appeler Matamore ! Mais le risque était mesuré… », sourit Diane Platteeuw.
Diane est-elle Claudine ?
La librairie s’appellera finalement Claudine. On pense bien sûr à l’héroïne de Colette et une étagère près du comptoir rend hommage à la grande romancière française. En forme de boutade, on ne peut s’empêcher de demander à Diane Platteeuw si Diane est Claudine. « Diane aurait tellement aimé être Claudine, rétorque-t-elle sur le même ton en riant. Elle est facétieuse, faussement ingénue. Elle est libre. De plus, Colette est une personnalité incroyable. Elle a inventé sa vie, elle a tout osé sur le plan personnel, affectif, professionnel, politique et elle écrit magnifiquement, avec beaucoup de sensualité. Son œuvre est également ancrée dans une terre, une maison, un jardin, à l’image de ce que j’ai voulu faire en ouvrant cette librairie dans la ville où j’habite, et à partir de cet ancrage, elle a enfoncé des portes. Elle a élaboré un récit d’émancipation. Elle a vécu sa vie comme elle l’a voulu. » Mais le choix de Claudine ne s’arrête pas là. « Nous avons saisi l’opportunité de la vague actuelle des vieux prénoms. Nous ne l’avions pas prémédité, mais j’entends parfois des gens dire ‘On va chez Claudine’, comme s’ils allaient chez une copine. Certains nous demandent qui, de nous trois, est Claudine. Des enfants nous appellent Claudine. C’est super chouette ! »
Le livre en transition
Vu ce marrainage prestigieux, on peut aisément imaginer que la ligne éditoriale apportée par la libraire à son enseigne a une dimension féminine, voire féministe. La réponse et la réalité sont plus nuancées. « Nous avons un rayon essais où les ouvrages féministes occupent pas mal de place. Même si la lecture apparaît comme une activité plus féminine, notre clientèle est mixte. Ce féminisme, nous l’incarnons aussi en tant que femmes cheffes d’entreprise engagées dans la vie sociale. Sans avoir un axe militant affirmé, on donne de facto une certaine image. »
La librairie se veut néanmoins généraliste et diversifiée. « Généraliste veut dire ouverture, précise Diane Platteeuw. C’est même une condition de survie pour nous à Wavre. Cela me plaît d’avoir un public diversifié qui sait que nous nous couperons en quatre pour lui, pour le conseiller, lui apporter le service qu’il attend. En retour, il comprend nos contraintes et accepte d’attendre si c’est nécessaire. Il sait que nous nous inscrivons dans une autre démarche qu’Amazon qui entraîne le dépeuplement du centre-ville par la dématérialisation et la dé-commercialisation du secteur ».
Engagées l’une et l’autre dans la vie de la cité du Maca et en particulier dans le collectif « Wavre en transition », Diane Platteeuw et Marie-Pierre Jadin transposent au quotidien et dans leur métier les valeurs auxquelles elles croient. Elles se fournissent à l’épicerie-coopérative Macavrac. Elles veillent à réduire leurs déchets. Elles acceptent les Talents, nom de la monnaie locale. Dans cet esprit de proximité, elles se positionnent sur des événements comme le festival Maintenant qui se déroule à Louvain-la-Neuve. « On aimerait aller plus loin bien sûr, concède Diane Platteeuw, mais on essaie déjà de contribuer à un certain état d’esprit. C’est ainsi que nous récupérons de vieilles cartes routières auprès de notre clientèle pour nos emballages cadeaux. C’est recyclé, c’est beau et ça marche ». C’est même devenu une marque de fabrique, avons-nous envie d’ajouter.
Un lieu de diffusion culturelle
Impliquée dans la diffusion culturelle dans sa vie professionnelle antérieure, Diane Platteeuw revient souvent sur ce concept qui l’anime également comme libraire. Au-delà de la vente de livres, la librairie Claudine se veut un lieu de rencontres et de création autour du livre, du récit et de la lecture. Cela passe et passera par des rencontres d’auteurs, des ateliers d’écriture ou d’illustration, comme actuellement des lectures pour enfants le samedi matin, des rencontres d’écrivains en soirée et une animation sur le thème de Saint-Nicolas avec deux auteurs d’ouvrages pour enfants, Ian De Haes et Charlotte Bellière. « Je suis fascinée par la créativité, par le croisement des disciplines culturelles impliquant le récit, l’écriture sous toutes ses formes, s’enthousiasme la jeune femme. Ouvrir une librairie, c’est faire de ce partage, de ce goût de la découverte une profession, c’est aussi créer un espace qui participe à la diffusion et à la création culturelles ». Les lieux s’y prêtent d’ailleurs bien. La librairie se déploie sur deux étages réservés aux ouvrages destinés aux adultes et au jeune public. Un troisième étage pourra, après aménagement, servir d’espace pour accroître les animations.
Après le déluge
Après avoir affronté les incertitudes liées au premier confinement, la librairie Claudine pouvait enfin ouvrir en tant que commerce reconnu essentiel et espérer prendre un rythme de croisière. C’était sans compter avec les inondations survenues durant la nuit du 14 au 15 juillet 2021 qui ont endommagé beaucoup de commerces et de maisons du centre de Wavre. Parmi eux, la librairie Claudine, mais aussi les habitations privées des deux associées. « Nous avons eu trente centimètres d’eau, mais heureusement une voisine nous avait conseillé de mettre les livres et le matériel informatique en hauteur, relativise Diane Platteeuw. Les dégâts se sont limités au mobilier, qui avait moins d’un an. Les murs suintaient. Une énergie incroyable a été déployée. Après deux journées de travail intense pour tout nettoyer et tout ranger, nous avons pu rouvrir la librairie cinq jours après. Des caisses à vin prêtées par des clients et amis ont fait office de bibliothèques ». La solidarité était à nouveau au rendez-vous. Et l’envie de s’inscrire davantage encore dans la vie et l’histoire de la ville en documentant le récit des événements traversés.
Avec la collaboration de l’autrice Dominique Costermans, la librairie a imaginé chroniquer collectivement et individuellement les inondations de l’été passé. Intitulés « Après le déluge », les témoignages sont récoltés via un groupe Facebook qui compte déjà plusieurs textes, photos et vidéos et dans le cadre d’’un atelier d’écriture. L’ensemble pourrait déboucher sur la publication d’un ouvrage et concrétiserait le rêve de Diane Platteeuw de transformer sa librairie en lieu de création.
Michel Torrekens
Souvenir de libraire
« Nos meilleurs souvenirs sont liés aux lecteurs. L’un d’entre eux est devenu un complice. Je lui avais conseillé un livre, Aires, de Marcus Malte, chez Zulma. Il est revenu en me signalant qu’il ne l’avait pas aimé, mais qu’il avait beaucoup aimé ne pas l’aimer. C’était génial car cela a ouvert une discussion approfondie sur ce bouquin, sur des éléments qui nous travaillaient, qui nous résistaient. Quelques fois, on se plante bien sûr, et ce n’est pas grave, car on apprend à connaître ses lecteurs et cela enrichit la relation. De plus, ce lecteur, Dominique Maes, j’ai appris par après qu’il était musicien, dessinateur, auteur et nous avons eu le plaisir de le recevoir pour son dernier livre, Gourmandises, un recueil de nouvelles publié par les éditions belges Murmure des soirs. »
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°211 (2022)