Joseph
Yun Sun LIMET, Joseph, La Différence, 2012
Yun Sun Limet fait une pause fictionnelle et explore son passé d’enfant « arrivée » d’un pays lointain dans une famille qu’elle a faite sienne au point d’en adopter les ancêtres. Car c’est de racines familiales qu’elle parle dans ce roman dont le personnage principal est un oncle prénommé Joseph qu’elle n’a jamais connu.
Mais avant d’en venir à lui, elle plonge dans la mémoire d’une région, la Famenne, et prend le temps de reconstituer l’ambiance d’une époque, celle de l’immédiat après-guerre. Elle dit la prégnance de la religion catholique, de la séparation entre garçons et filles, les jeux simples au grand air, le rituel de passage du service militaire, l’ambiance laborieuse de ces petites gens qui portent leur destin à bout de bras en se passant de l’usage du téléphone et de l’automobile et méconnaissant les frissons de la vie urbaine.
Elle traduit à merveille l’élan positif qui entoure le redéploiement économique, l’exposition universelle de 1958, les découvertes scientifiques et la conquête spatiale, l’essor des loisirs et les horizons élargis en des temps où tous les espoirs étaient permis comme dans une conquête qui n’aurait pas de fin. À ce moment, chaque jeune qui étudie peut penser qu’il connaîtra un avenir meilleur que celui de ses parents. Puisant inspiration dans les albums de photographies familiales, elle scrute les instantanés dans les moindres détails et dresse quelques portraits de parents et de proches.
Joseph a les allures d’un jeune homme à qui tout réussit : les études d’instituteur, la
prise en charge d’une classe dans un village près de Marche, l’achat d’une moto, les amitiés, des fiançailles en promesse de bonheur complet. Puis il y a sa voix d’or avec laquelle il s’est fait connaître dans la région et qui est sa signature la plus forte en ces temps où les fêtes rassemblent les gens. C’est ce destin prometteur qui se brise d’un seul coup sur une route où Joseph filait avec insouciance sur sa puissante FN. En renouant les fils de ce passé qu’elle n’a pas partagé, mais dont la prégnance est étrangement forte, Yun Sun Limet est allée au coeur d’un drame qui a pris place au centre de la culture de sa famille d’adoption et qui résonne encore dans les générations actuelles. Elle le fait avec un tact et une forme de tendresse lucide qui donnent une dimension universelle à cette confidence presque privée, dans un écrit soigné et élégant qui contient quelques pépites.
Thierry Detienne
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°172 (2012)