
Lucienne Desnoues
En 2021, mon petit-fils aura 26 ans, et l’ainée de mes trois petites-filles 38. Il serait beau qu’à ces ramillons de la branche Norge-Mogin-Desnoues éclosent de nouvelles fleurs ou promesses de refloraisons poétiques. Mais que vont devenir la Planète, l’humanité, la Poésie sous ce troisième millénaire qui s’avance dans un raffut d’horreurs? J’aimerais, si ma discrète voix peut encore s’entendre dans un petit quart de siècle, que nos descendants y perçoivent mon vertige devant la vie, mon désir de la célébrer au moyen de notre plus stupéfiante élaboration : le langage, ses musiques, ses infinies subtilités ; mon voeu que les chiffres ne supplantent pas trop gravement les lettres, que le prestige de l’intellect, les prodiges de la science, la frénétique ambition financière n’éclipsent pas les merveilles du coeur.
Je souhaiterais qu’on aime dans mes vers le reflet d’un passé dont certains trésors tendent à devenir légendaires : le silence, la lenteur, les eaux pures, les forêts, l’espérance, l’exigence de l’âme, la hauteur de l’amour… Il me serait bon de savoir qu’on apercevra dans la rigueur de mon métier, dans les magies de la rime volontairement, délectablement conservée, les vertus et les joies des paysans et des artisans disparus. Et pouvoir donner à penser : « Persuadée qu’on ne puisse jamais percer le mystère d’un Créateur insondable, admirable, cruel, muet, aveugle et sourd, elle a senti que l’éternel rayonne sous le quotidien ; que le geste le plus familier appartient au mouvement universel et s’auréole de sacré. Elle aura chercher le bonheur, pas seulement pour le savourer, mais pour l’offrir, le partager. Aussi sa poésie aura-t-elle toujours lutté contre l’incommunicable ».
Lucienne Desnoues
Texte publié dans Le Carnet et les Instants n°100 (1997)