Le roman de l’inconscient
Lydia FLEM, L’Homme Freud, Seuil, coll. « Librairie du XXe siècle », 1991, 278 p.
– Et les modernes?
– Je crois qu’il n’y en a encore jamais eu de modernes. Peut-être un peu Freud, peut-être ! ou bien Rembrandt. (Jean-Pierre Léaud pour Godard)
A l’orée du XXe siècle, un homme a découvert une terra incognita.dont les horizons étaient si vagues qu’au moins pouvait-on imaginer qu’elle serait immense. Là pourtant n’était pas le plus impressionnant. Ce qui l’était davantage, et qui en a fondé la modernité, c’était l’invention, par le même homme, d’une méthode d’exploration originale. Devant la découverte de l’inconscient, la psychanalyse s’est élaborée ainsi par le travail du seul Sigmund Freud.
Or, toute entreprise vraiment novatrice ne peut être décrite qu’au moyen d’analogies et de métaphores. Freud le premier s’y est efforcé. C’est ainsi qu’il a pu parler de son travail comme de celui d’un archéologue. Lydia Flem, à sa suite, a tenté de reconstruire le tissu des références freudiennes. Son ouvrage en reconstitue splendidement les dess(e)ins intellectuels et les colorations autobiographiques. Freud, en effet, était détenteur d’un triple héritage : à sa passion pour l’antiquité gréco-latine, nous devons notre familiarité avec Œdipe et Narcisse ; son éducation juive s’est versée avec la pétillance de son humour dans Le Mot d’esprit :quant à la richesse de sa culture littéraire, elle nous vaut une œuvre qui est moins celle de savant que celle d’un merveilleux essayiste. Mais c’est peu de dire que Freud est un grand écrivain. Il faut encore reconnaître avec quelle intimité Freud a lié les destinées de la psychanalyse à son rapport à l’écriture de fiction. Les rêves, par exemple, sur l’étude desquels s’élaborent les premiers textes freudiens. ne sont en fin de compte que des histoires. Comment les saisir, sinon en observant leurs vertus narratives ? Du même coup. s’éclaire la réticence de Freud envers le cinéma : en ce que l’aspect premier du rêve n’est pas visuel mais bien textuel. Le roman de l’inconscient trouve ainsi sa légitimité dans le tiraillement entre la rigueur des observations médicales et la précision métaphorique des formes littéraires.
Aussi Lydia Flem n’a-t-elle pas hésité à confronter l’œuvre freudienne avec une multitude de citations littéraires. d’Horace à Rilke, en passant par Cervantès et Poe. La parenté des idées et du ton est souvent remarquable.
Mais, une fois l’écrivain reconnu clans le savant, on se doit encore de retrouver l’homme dans l’écrivain, « l’homme Freud ».
celui dont l’autopsychanalyse abonde dans la correspondance, et qui cependant nous échappe. C’est alors en enquêteuse cligne de Paris-Match – où donc mènent les analogies ! – que Lydia Flem part à la recherche des amis, de la famille, des maîtresses peut-être, de « Schlomo ». dévoilant in fine le portrait émouvant d’un homme qui aura réintroduit dans son œuvre « la fracture des passions ». A cet homme exceptionnel, il fallait bien une biographie d’exception.
Sémir BADIR
Le Carnet et les Instants n° 71, 15 janvier – 15 mars 1992