Portes et livres ouverts : dîners littéraires à la Maison de la Francité

Rony Demaeseneer Kate Milie

Kate Milie aux dîners littéraires de la Maison de la Francité

De nombreux lieux présentent, font vivre et découvrir, l’œuvre d’auteurs belges. Des lieux essentiels puisqu’ils permettent de mettre un visage sur un nom et d’entendre l’écrivain s’exprimer en direct sur son travail, sous différentes facettes. Partons à la découverte de ces lieux. Dans ce numéro, les dîners littéraires de la Maison de la Francité, qui fête ses 40 ans.

Participer aux dîners littéraires de la Maison de la Francité, c’est d’abord découvrir un lieu emblématique de la vie culturelle, littéraire et francophone bruxelloise. Située au cœur de la capitale européenne, la Maison de la Francité a élu domicile dans un hôtel de maître prestigieux, l’Hôtel Hèle, sis au numéro 18 de la rue Joseph II. Construit au XIXe siècle, il a été restauré à l’identique en 2013. C’est dans ce bâtiment prestigieux, entre Néoclassicisme et Art Nouveau, que la Maison de la Francité a été créée il y a quarante ans.

Maison de la Francité, cité de la Francophonie

À l’époque, les confrontations communautaires inquiètent les Bruxellois francophones qui entendent préserver la vivacité de leur langue, non seulement face aux velléités politiques de certains, mais également face à une omnipotence croissante de l’anglais suite au développement des institutions internationales. La langue française constituera l’ADN de la Maison de la Francité, avec une volonté d’ouverture sur le monde dont ses multiples activités sont le reflet. Pas moins de 300 pour ses 40 ans, quasi une par jour. On trouve au programme de l’événementiel : débats littéraires, conférences, ateliers interactifs, par exemple sur la littérature maghrébine de langue française, expositions, projections audiovisuelles, causeries et vadrouilles culturelles… L’association organise aussi des actions d’apprentissage et de maîtrise du français (ateliers, permanence d’un écrivain public le jeudi après-midi, tables de conversation, stages de prise de parole…). Différents services sont également proposés comme le prêt de 250 jeux de langage ou une assistance à la bonne utilisation de la langue française… Ajoutons à ce panel déjà impressionnant un concours de textes qui fête cette année sa vingtième édition, ouvert aux adultes mais également aux 12-18 ans, qui peuvent suivre un atelier d’écriture au préalable (thème de cette année: Moi, Président(e))…

En 1976, les statuts de la Maison de la Francité mettaient en avant une mission de défense de la langue française et de la francophonie internationale. Aujourd’hui, Bruxelles compte 180 nationalités et 104 langues parlées, ce qui en fait une des villes les plus cosmopolites. Dans ce contexte, la Maison de la Francité a plus que jamais la volonté de promouvoir la langue française dans un esprit d’ouverture et de modernité, dans le respect de toutes les cultures et en étant à l’écoute de chacune. Cela se traduit notamment par la présence en ses murs d’une douzaine d’associations culturelles comme l’ONG Coopération Éducation Culture (CEC), avec laquelle elle a ouvert l’Espace Césaire, une bibliothèque de prêt de près de 10.000 livres de littératures africaines, caribéennes et des diasporas ainsi que des ouvrages consacrés à la langue française et son aura (www.espace-cesaire.org/biblio).

Un animateur au long cours

Parmi les nombreuses activités qui se tiennent à la Maison de la Francité, les dîners littéraires bruxellois sont devenus un rendez-vous qui a su conquérir un public fidèle. Il s’agit d’un concept culturel nouveau, amusant et convivial, une conférence de 45 minutes suivie d’un débat se déroulant autour d’un petit repas concocté par un restaurateur bruxellois. Rony Demaeseneer, l’animateur de ces rencontres, a déjà une belle expérience dans le domaine. Bibliothécaire-documentaliste à Saint-Josse, chargé de cours en histoire et techniques du livre, il est également auteur (Livret muet, MaelstrÖm, 2012) et publie régulièrement dans diverses revues (Le Carnet et les Instants, La Revue Nouvelle, Phoenix, etc.). En 2014, il a collaboré au Dictionnaire Rimbaud publié chez Laffont dans la collection Bouquins.

En 2015, Donald George, nouveau directeur de la Maison de la Francité, l’a contacté pour mettre sur pied un cycle de rencontres littéraires sous forme de soirées mensuelles. « Mon nom, se souvient Rony Demaeseneer, lui avait été soufflé par plusieurs personnes qui connaissaient mon parcours d’animateur et de modérateur, notamment Milady Renoir, directrice de l’asbl Kalame dont les bureaux sont hébergés dans le bâtiment de la Maison. Depuis plus de quinze ans, j’anime des rencontres pour différents événements. Je l’ai fait pendant cinq ans pour les Jeudis Lire au Bozar pour le Service de la promotion des Lettres autour de l’actualité littéraire en Belgique francophone et trois années durant pour le Festival Passa Porta, la Foire du Livre de Bruxelles et différents festivals comme Étonnants voyageurs à Saint-Malo ou encore pour le Marché de la poésie de Paris. J’ai également mis sur pied « Embarquez lire » qui propose, durant l’été, des rencontres à bord d’une péniche sur le canal de Bruxelles… »

Ajoutons que la Maison de la Francité n’est pas une inconnue pour Rony Demaeseneer. Durant ses études de bibliothécaire-documentaliste, il y avait effectué un stage sous la houlette de Philippe Ernotte, alors linguiste chargé de projet. « J’ai, à l’époque, participé entre autres à la mise sur pied d’ateliers d’écriture ainsi que du service, toujours accessible, SOS langage, qui propose des aides ponctuelles à la rédaction en matière d’orthographe, de syntaxe, notamment comme soutien à la rédaction de textes administratifs mais pas seulement[1]».

Un auteur passe à table

Le succès de ces soirées tient bien évidemment au tempérament de l’animateur, à sa connaissance du sujet et à sa spontanéité, mais aussi à l’écrivain invité. Un écrivain dont la bruxellitude tient lieu de critère de sélection (si nous pouvons oser ce néologisme inspiré par un autre, belgitude, qui n’a cessé de faire des vagues depuis sa création). « Avec le directeur, explique Rony Demaeseneer, nous avons opté pour cette formule « Dîners littéraires bruxellois » qui correspondait aux nouvelles lignes directrices de la Maison de la Francité et au souhait de ré-ancrer l’institution au cœur de Bruxelles. D’où la volonté de centrer ces soirées-rencontres autour d’auteurs qui ont un rapport plus ou moins étroit avec Bruxelles parce qu’ils y habitent, qu’ils y travaillent, qu’ils écrivent sur la ville ou tout cela à la fois ! Cela dit, j’ai carte blanche pour adapter selon mes choix, goûts, affinités, ce qui est très motivant. Ma volonté était aussi d’inviter des auteurs issus non seulement d’univers différents mais aussi de cultures diverses de par leurs origines ou leurs parcours. »

Ce 7 décembre, l’écrivain invité répondait on ne peut mieux à ce profil. Non seulement, il vit à Bruxelles, mais il y travaille comme infirmier depuis plusieurs années. Son rapport à la langue française est essentiel puisqu’elle lui a offert un visa vers une autre existence. Et il incarne à merveille le cosmopolitisme bruxellois. Né au Rwanda en 1962, Joseph Ndwaniye poursuit à travers ses romans à l’écriture minutieuse et sensible une exploration fine et tendre des relations entre l’Afrique et l’Europe, tout en retrouvant, par le biais de l’écriture, la sagesse des anciens. Ses deux romans, La promesse faite à ma sœur (Les Impressions Nouvelles, 2006) et Le Muzungu mangeur d’hommes (Aden, 2013), créent des ponts entre la Belgique et l’Afrique, avec le milieu médical présent d’une manière ou d’une autre. Des romans qui sont le reflet d’une quête de soi, à travers la transmission et la rencontre.

Entre l’animateur et l’auteur se dégage une belle complicité qui contribue à l’atmosphère détendue et conviviale de la soirée. Une complicité qui s’explique par les liens que Rony Demaeseneer a pu nouer avec nos auteurs. « De manière plus personnelle, confie-t-il, ces soirées sont l’occasion pour moi de reprendre contact avec des auteurs que je connais pour, la plupart, les avoir déjà rencontrés, interviewés, etc. De renforcer aussi le lien avec leurs œuvres, suivre leurs évolutions, etc. Et puis aussi, plus intimement, d’alimenter, par la bande, au contact d’autres univers, mes propres textes, même si pour le moment ils restent très parcellaires. Un bookleg chez Maelstrom, différents textes dans des revues comme Le Fram, Inuits dans la jungle, Phoenix (cahiers internationaux de littérature), etc. Enfin, j’ai tenu, pour Le Carnet et les Instants, pendant quatre ans, la chronique Dans l’intimité d’une bibliothèque d‘écrivain qui faisait la part belle aux intérieurs d’écrivains et qui m’a permis de m’immiscer au cœur de ces bibliothèques privées. Autant dire que je connais pas mal d’auteurs belges, certains sont devenus des amis. »

Qui écoute dîne

Cette convivialité se poursuit au moment de passer à table. Pour chaque séance, les organisateurs confient la responsabilité du menu à un traiteur ou restaurant différent, reflet à nouveau du multiculturalisme bruxellois. Une formule qui a permis de fidéliser un public d’amateurs de mots et de mets. Pour recevoir Joseph Ndwaniye, la Maison de la Francité avait fait appel à un restaurant syrien…

Depuis septembre 2015, les diners littéraires ont accueilli Georges Lebouc, Emmanuel Rimbert, Taha Adnan, Jean-Baptiste Baronian, Jacques Darras, Laurent de Sutter, Marc Meganck, l’auteur de BD David Vandermeulen, Jan Baetens et la saison 2016-2017 a programmé, outre Joseph Ndwaniye, Kate Milie, Kenan Görgün, Rossano Rosi, Alain Berenboom, Pascale Bourgaux, Roel Jacobs et Benoît Peeters.

Et pour ceux qui ne pourraient ou n’ont pu participer à ces rencontres, sachez qu’elles ont été enregistrées et sont visibles sur le site de la Maison et, en partie, sur Youtube. Au fil de ces multiples rencontres, Rony Demaeseneer a noué un lien particulier avec la littérature belge qu’il nous a plu de préciser avec lui, pour conclure : « Mon rapport à la littérature belge n’est pas venu immédiatement. Les auteurs qui composent ma cartographie littéraire ne sont pas a priori d’origine belge même si Michaux a longtemps été un de mes écrivains de chevet. La découverte de la littérature belge s’est faite par le biais justement des rencontres que j’ai pu animer, donc finalement par le biais de contemporains comme Verheggen, Cliff, Izoard, Delaive, Logist, Berenboom, Nicolas Marchal, etc. Il y a eu, surtout, la rencontre décisive avec André Blavier, chez lui à Verviers deux ans avant sa mort, dans le cadre d’un mémoire que j’ai consacré aux bibliothécaires-écrivains dans la littérature belge et française depuis 1830 et la figure incontournable de Charles Nodier. Mon amitié avec Jean-Baptiste Baronian m’a aussi poussé à lire du belge. Au point de faire partie à présent du comité de lecture de la collection Espace Nord, patrimoine de la littérature belge francophone. Au fil des lectures belges donc, de nombreuses découvertes essentielles : Marcel Thiry, Werner Lambersy, Paul Émond, Guy Vaes, Louis Delattre, Pascal De Duve (dont on réédite maintenant en Espace Nord le troublant Izo), les textes fulgurants de Rops, Gilkin, etc. Je m’intéresse entre autres aux minores de la littérature belge : Raymond Ceuppens, Louis Delattre, Max Deauville, André Blavier… »

Michel Torrekens

En pratique

Maison de la Francité 
18, rue Joseph II à 1000 Bruxelles
02/219 49 33
secretariat@maisondelafrancite.bewww.maisondelafrancite.be
[1] 02/219 49 33, du mardi au vendredi.


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 194 (avril 2017)