Un film sans images : « Tout est possible »
Marcel MARIËN, Tout est possible, Les Lèvres nues, 1992, 250 p.
Lorsque le possible n’ habite pas ton jardin. l’improbable frappe à ta porte, dit un proverbe chinois. On fait ce qu’on veut des proverbes chinois, mais Marcel Mariën. qui passa dix-huit mois chez Mao. sait aussi qu’on les retourne comme un gant. Réalisateur, en 1926. de L’imitation du cinéma, film dont le budget de production était inversement proportionnel au scandale qu’il suscita en Belgique et en France, qui encourut les foudres de la presse catholique et de certains critiques de cinéma, avant de trouver, vingt ou trente ans plus tard, une audience nettement plus enthousiaste.
Marcel Marïen n’avait pas l’intention de faire carrière dans le 7ème Art. Aujourd’hui encore, il considère que son film était raté du point de vue cinématographique. Mais, tournant la manivelle dans une direction davantage subversive que Magritte — qui réalisa pour son plaisir de petits films amateurs prolongeant l’univers de-son oeuvre picturale —. Mariën n’imaginait pas que ses débuts dévastateurs susciteraient la curiosité d’un directeur de théâtre parisien. Fort de son succès sur les planches avec Irma la douce, René Dupuy commandait un scénario au réalisateur de L’imitation du cinéma. Et, France Roche l’apprenait aux lecteurs de France Soir du 20 avril 1961, il s’agirait d’une histoire d’amour comique (sic) avec Michel Serrault dans le rôle principal. Côté féminin, on tâta – en tout bien tout honneur – Romy Schneider, Annie Girardot. Emmanuelle Riva aurait ravi dans ce dialogue, pastiche d’Hiroshima mon amour : « — Azincourt, voilà ton nom. — Oui. Azincourt, c’est moi. Ton nom à toi. c’est Pontoise. Pontoise en France. » C’est Micheline Presle qui finalement devait décrocher la timbale.
Jean Poiret, Louis de Funès étaient pressentis. L’événement s’annonçait grandiose, le scénariste travaillai! sans relâche, modifiant et bousculant le synopsis original, qui tenait beaucoup du roman photo, pimenté, comme il se doit, de clins d’œil, d’allusions, de gags faciles et de scènes volontiers « non-sensé ». Mariën usai! peu du dialogue, préférant l’ellipse, le télescopage des plans, aux longueurs. Mais le meilleur du film ne tenait-il pas dans son titre ? Tout est possible c’était un homme, une femme, un soir, un train et un roman-photo, prétexte à une aventure onirique qui aurait pu inspirer Jean-Claude Carrière et Bunuel. Le possible cependant désertait chaque semaine un peu plus le jardin du producteur, au point que Mariën dut convenir, en définitive, que l’improbable campait solidement devant sa porte. Il ne reste de ce film sans images qu’un scénario de deux cent pages, tiré dans plusieurs directions, création hybride dont on devint qu’elle n’aurait pas eu la violence de L’imitation du cinéma, et dont la réalisation concrète semble désormais vouée à l’improbable.
Guillaume Malherbe
Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 75 (1992)