
Marie Colot
Présente depuis 2012 sur la scène littéraire belge de jeunesse, Marie Colot est l’auteure de neuf romans dans lesquels elle s’immisce avec perspicacité dans la peau de ses personnages. Reconnaissable par son style simple et efficace, elle affectionne particulièrement l’introspection subtile et les énumérations. Elle aime : les sujets graves traités avec légèreté, les histoires qui se terminent bien, les personnages à la fois sensibles et solides, les rencontres improbables, les amitiés fortes et sincères, rencontrer ses lecteurs. Elle n’aime pas : les préjugés, les injustices, la violence gratuite, la vengeance, la trahison, la tristesse.
Originaire de la région namuroise, Marie Colot, aujourd’hui trentenaire, passe son temps à confectionner des petits livres et imaginer des histoires. Elle est en secondaire lorsqu’un professeur de français l’amène à alimenter un cahier d’écriture. Dès lors, sa voie est tracée : sa vie professionnelle sera liée aux livres et à l’écriture, au rapport aux lecteurs, et sans se sentir la vocation d’être professeure, elle entreprend pourtant des études de philologie romane et en Arts du spectacle avant de s’envoler pour le Canada où elle entame sa carrière… d’enseignante. Elle devient par la suite professeure de français pour les futurs éducateurs de la Haute école de Bruxelles – Defré (aujourd’hui Haute école Bruxelles-Brabant), mais interrompt partiellement sa carrière professorale et se consacre à l’écriture.

Evelyne Wilwerth
Marie Colot s’intéresse très tôt à la littérature de jeunesse et s’engage comme lectrice dans l’aventure du Prix Versele qui lui permet de découvrir la richesse de cette littérature. Titillée par l’envie d’écrire, elle décide de participer à des ateliers d’écriture pour la jeunesse, dont ceux, déterminants, d’Evelyne Wilwerth, durant lesquels Marie Colot trouve l’espace-temps indispensable pour s’adonner au plaisir d’écrire. D’un de ses ateliers en neuf séances réparties sur une année, germe son premier roman, En toutes lettres. Neuf séances, neuf chapitres (et aujourd’hui neuf romans !).
Une autre rencontre décisive se déroule quelque temps plus tard au Centre de littérature de jeunesse de Bruxelles, avec Rascal. L’auteur illustrateur la pousse à envoyer son manuscrit, et, le jour de son trentième anniversaire, Marie Colot adresse son premier roman à une dizaine d’éditeurs. Six mois s’écoulent, et il paraît en avril 2012 aux éditions Alice Jeunesse.
En toutes lettres fait mouche ! Rapidement, des critiques élogieuses circulent sur le web et le roman se voit sélectionné pour la Bataille des livres et dans les Incontournables 2009-2012 de la Fédération Wallonie-Bruxelles : les prémices d’une vie d’auteure bien remplie, entre les rencontres avec les lecteurs et les ateliers d’écriture que Marie Colot anime à présent.
Ce premier roman préfigure déjà ce qui sera la marque de fabrique de notre auteure : un personnage principal s’exprimant à la première personne de manière directe et franche, non dénuée d’humour, dû tant à la perception que le protagoniste a du monde qui l’entoure qu’aux situations cocasses qu’il expérimente. Dans En toutes lettres, tandis qu’elle assiste désarmée au départ de son papa du domicile conjugal, Agathe se trouve contrainte de correspondre par courrier postal avec Arthur. Ce dernier ne se gêne pas, dès le début, pour lui exprimer tout son désintérêt pour cet échange épistolaire. S’ensuit pourtant une enquête sur les origines d’Arthur, et une franche complicité menant à un dénouement soulageant pour tous.
Plusieurs fois sélectionnée pour la Petite Fureur et lauréate du Prix Libbylit du roman jeunesse belge en 2014, Marie Colot continue de s’ébaubir lorsque ses romans sont publiés. Elle n’hésite pas à communiquer son enthousiasme sur son site : « … c’est un énorme plaisir de les avoir entre les mains, de les feuilleter (mais pas de les lire), de les retourner dans tous les sens, de renifler l’odeur du papier, bref, de savourer encore et encore ce moment si particulier qu’est la sortie d’un livre – ça y est, il ne m’appartient plus, il est proche et loin en même temps, il se loge dans mon passé pour profiter de la vie bien plus palpitante qui l’attend dans les mains des lecteurs ».
Cet enthousiasme qui la caractérise si bien transpire tant dans ses rencontres avec ses lecteurs qu’au travers de chacun de ses personnages, dans ce même style direct et percutant. Comment ne pas s’attendrir devant la connivence d’Agathe et Arthur (En toutes lettres) ; la désarmante résolution de Charlie à échapper à son quotidien en photographiant les vues de chaque appartement de son immeuble (Souvenirs de ma nouvelle vie, Alice, 2013) ; la détermination d’Auguste à ramener Lima en trottinette, auprès de ses parents au Pakistan (Quand les poissons rouges auront des dents, Alice Jeunesse, 2015) ; l’obsession d’Iris pour qu’Angelina revienne dans le monde des vivants (Les baleines préfèrent le chocolat, Alice Jeunesse, 2015)… Désarmante Marie Colot quand elle nous confronte aux pensées de ses jeunes héros. Sa capacité d’empathie à leur égard n’a d’égal que son goût des conclusions heureuses, sans niaiserie.
J’avais eu pitié de moi. Et, bizarrement, d’elle. Je m’étais abaissée à mener une guerre contre une pauvre fille obèse qui nageait un peu mieux qu’un chou-fleur. Je l’enviais surtout de trimballer une joie tout-terrain qui m’avait quittée depuis la disparition de maman. » (Les baleines préfèrent le chocolat)
À l’exception de son dernier roman Je ne sais pas (Alice Jeunesse, 2016) qui s’adresse aux adolescents de 15 ans et plus, les romans de Marie Colot sont parfait pour les jeunes lecteurs entre 9 et 12 ans (et les auteurs belges écrivant pour cette tranche d’âge sont trop rares pour ne pas souligner cette particularité). Les protagonistes (et parfois d’autres personnages), dans la même tranche d’âge, sont parfois en proie à une situation traumatisante telle Charlie dans Souvenirs de ma nouvelle vie, dont on découvre qu’elle vient de vivre la perte d’un proche, ou Jade en proie au harcèlement dans Dans de beaux draps (Alice Jeunesse, 2015). Quelquefois, c’est une situation sortant de l’ordinaire qui se dessine, comme pour Auguste et ses deux papas dans Quand les poissons rouges auront des dents, ou Elias qui découvre un journal de bord vieux de quarante ans dont l’auteur, un pêcheur, veut assouvir sa vengeance (À l’encre rouge, Alice jeunesse, 2014, écrit avec plusieurs classes lors d’une mémorable Bataille des livres)…
Tous se questionnent et prennent en main leur destin.
Et naturellement, l’air de rien, avec fluidité, d’une situation découle une autre. Comme si Marie Colot détournait notre attention pour élargir nos horizons. Certains trouveront que le procédé dessert la profondeur du propos, tandis qu’il ouvre le champ des possibles. Lorsqu’Auguste nous présente sa situation de « fils à deux papas » (Quand les poissons rouges auront des dents), nous découvrons vite que le véritable nœud du roman est le déracinement de Lima, éloignée de ses parents dans un pays qu’on devine en guerre. Si Jade est Dans de beaux draps parce qu’elle prétend avoir une relation avec un garçon plus âgé, c’est pourtant les dégâts que peuvent causer les réseaux sociaux et leur mésusage sur lesquels Marie Colot attire notre attention. De même Charlie (Souvenirs de ma nouvelle vie), quand elle s’ouvre au passé de sa voisine Olga, oublie sa propre situation.
Avec Je ne sais pas, paru en octobre 2016, Marie Colot s’adresse cette fois aux lecteurs un peu plus âgés. Clara, adolescente ayant assisté à un meurtre, reste muette devant les questions de la police. Nous plongeons dans un monologue intérieur où elle s’interroge et tente, sans y parvenir, de formuler ses craintes, ses doutes. Sous des allures de polar, ce roman reste le témoignage d’une nuit, dans une vie, qui nous ramène à des blessures enfouies, anciennes, et qui mènera l’héroïne à une meilleure estime d’elle-même. Marie Colot n’hésite pas ici à user de jeux de mots, d’expressions imagées pour nous transporter dans l’intimité de Clara.
Parallèlement, l’auteure publie un autre ouvrage pour les jeunes lecteurs, illustré par Florence Weiser, et nous propose le très humoristique Jour des premières fois (Alice Jeunesse, 2016), une série en trois tomes dont le premier, Mouettes & Cie, nous narre les aventures d’Elvis et ses copains, qui découvrent pour la première fois la mer. Mais tout ne se passe pas comme prévu, et l’institutrice éprouve bien des difficultés à gérer sa classe.
Si la majorité des ouvrages de Marie Colot sont publiés chez Alice Jeunesse (souvent enrichis d’illustrations de Rascal), Les dimanches où il fait beau s’avérait parfait pour la collection « Mouchoir de poche » des éditions Motus (2014). Le texte est concis, mais dense et d’une sensibilité extrême, abordant, par la voix naïve d’Adam, la déficience mentale dont il est atteint et sa difficulté à recueillir l’estime paternelle : « Parfois, mon père me regarde d’un air triste. Ses yeux qui pleurent, ça me rend triste aussi. Je ne suis pas bête, je sais bien que je suis un attardé ». Pour cet opus, Marie Colot enrichit son texte de ses propres photographies en noir et blanc, retravaillées, donnant ainsi une intensité supplémentaire à la blessure dont nous parle Adam. Et en une scène finale, abrupte à souhait, toute l’inquiétude enfantine d’Adam se transforme en un espoir sincère et simplement sublime. Si Marie Colot nous avait habitués aux intériorisations de ses personnages et à l’exploitation de thématiques connexes sans tomber dans la superficialité, elle réussit ici un véritable coup de maître en une quinzaine de pages seulement.
Marie Colot a un don certain : celui d’écrire des histoires dont nous sortons plus forts et plus heureux, sans pour autant omettre de susciter la réflexion et le questionnement des lecteurs. En neuf romans, décidément, Marie Colot nous offre neuf raisons d’apprécier son travail.
Natacha Wallez
Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 193 (janvier 2017)