Les microcosmes de Mathieu Pierloot

mathieu pierloot

Ils s’appellent Lino, Antoine, Charlotte, Fatou, John-John, Medhi ou Sacha. Ensemble, ils forment de petites bandes qui interagissent, apprennent les uns des autres, s’interrogent, s’engagent, dialoguent. Mathieu Pierloot s’inspire de la vraie vie, qu’il s’agisse de la sienne ou de celles qu’il observe, pour créer les personnages de ses romans et les véritables microcosmes dans lesquels ils évoluent.

Cet ancien prof de morale dans l’enseignement primaire, qui avait d’abord étudié le journalisme et la sociologie politique, a commencé son chemin d’auteur jeunesse en 2014 avec L’amour, c’est n’importe quoi ! Depuis, romans, albums et scénarios de bande dessinée se sont accumulés sous sa plume.

Enfant, étiez-vous lecteur ? Qu’est-ce qui a fondé votre imaginaire ?
J’ai appris à lire très jeune. Ma mère était institutrice, et je suppose que cela a dû jouer un rôle. J’ai assez vite baigné dans les bouquins. J’ai toujours lu beaucoup.
J’ai commencé par Oui-Oui, comme pas mal de gens, et j’ai été très marqué par Rendez-moi mes poux de Pef, que j’ai beaucoup relu. J’ai des souvenirs très forts de James et la grosse pêche de Roald Dahl, ainsi que d’autres livres de la collection Folio Junior. Il y avait Poil de carotte de Jules Renard, Claude Roy, et d’autres auteurs considérés plutôt pour adultes.
Et puis il y a eu un choc littéraire qui m’influence encore aujourd’hui : la découverte de la collection pour adolescents Travelling, chez Duculot. En particulier le roman de Bernard Barokas Le plus bel âge de la vie. Ça a été une claque ! Il racontait exactement ce que je voulais lire à ce moment-là. Je me rends bien compte que mes romans pour ados sont influencés par celui-là. À cette époque, j’ai aussi regardé le film Le péril jeune : ça m’intéressait beaucoup, cette façon de raconter l’adolescence, très ancrée dans du réel.

En effet, vous écrivez des romans réalistes, autour du quotidien. C’est le genre avec lequel vous êtes le plus à l’aise ?
Je dis toujours aux enfants que je n’ai pas suffisamment d’imagination pour écrire autre chose. J’aimerais pouvoir le faire et j’en parle régulièrement avec Thomas Lavachery, qui est justement tout à fait dans l’imaginaire. J’aimerais avoir ce souffle. Mais en réalité, mes romans ne racontent rien ! J’aime bien cela, mais je crains que ça n’emmerde les ados. Mes livres pour ados sont autobiographiques, et mes livres pour enfants sont basés sur des histoires de cours de récré, probablement parce que j’ai été enseignant dans le primaire pendant dix ans.

Le fait d’avoir travaillé en milieu scolaire a-t-il influencé vos récits ?
Bien sûr. L’école est un vrai microcosme. J’aimais beaucoup écouter les enfants, observer la manière dont ils s’expriment entre eux, ce qu’ils se racontent, ce qui se joue. Ma fille m’a aussi rapporté des événements que j’ai utilisés dans mes histoires, comme dans Lino, quand la municipalité décide de couper un saule dans la cour de l’école, et que les élèves se mobilisent. Le personnage de John-John est basé sur un type d’enfant que tous les profs connaissent : les attachiants. Ils sont pénibles, et en même temps on les adore. Si je n’avais pas travaillé dans l’enseignement, je n’aurais pas pensé à un tel personnage, alors que c’est de l’or pour faire rire les lecteurs ! Lino est plus une coquille vide, il sert surtout à raconter tout ce qui se passe autour de lui. C’est presque un prétexte.
En fait, les rapports entre les gens, il n’y a que ça que j’ai envie de raconter.

Et dans l’enfance, inventiez-vous déjà des histoires ?
Pas vraiment. J’ai lu beaucoup de bandes dessinées, alors je dessinais bien plus que je n’écrivais. J’ai un rapport à l’écriture qui est caractérisé par l’effort et le travail. Je n’y prends pas énormément de plaisir : c’est plutôt une chose que je m’impose. Personne ne m’oblige à le faire. En revanche, j’éprouve de la satisfaction quand j’ai l’impression d’avoir écrit une page qui tient la route. Dorothy Parker disait « Je déteste écrire mais j’adore avoir écrit ». C’est comme pour le sport : il y a des gens qui détestent aller à la gym, mais qui ensuite sont tellement contents de l’avoir fait ! J’ai le même rapport à l’écriture.

pierloot lino et les autres

Quel est le point de départ d’un livre ?
Ça dépend du type d’écrit. Mes textes pour ados correspondent à des sujets dont j’ai besoin de parler. Par exemple, mon prochain livre va traiter du retour aux origines. J’ai grandi dans le Charleroi des années 1990. Je voudrais écrire sur un personnage qui a quitté la ville pour faire ses études et qui y revient après quelques années. Comment est-il perçu par les gens qui sont restés ? Comment lui les perçoit-il ? Ce type de thématique m’intéresse beaucoup, bien que je n’aie toujours pas lu Nicolas Mathieu. Le livre devrait s’appeler Hourvari. Il s’agit d’une technique utilisée par les chevreuils pour semer les chiens lors de la chasse : ils reviennent sur leurs propres traces.
Pour les enfants de 8-12 ans, comme les Lino, je me fais plaisir. Cela faisait longtemps que j’avais envie d’écrire sur une petite bande de copains à la Ariol ou Petit Nicolas. Ce sont des influences, évidemment. Ariol, c’est fantastique. J’aime qu’il n’y ait aucun cynisme. C’est tendre, c’est malin…
Là, j’ai envie d’écrire un album, alors je me force ! C’est une forme d’exercice : essayer de me couler dans une écriture qui n’est pas la mienne. De plus en plus, les albums qui me plaisent ont été écrits par des illustrateurs. On sent que tout a été pensé en même temps : l’image et le récit. Mais ça me plait de faire un album. L’aventure est sympa.
Je travaille sur un livre à la fois parce que je n’ai pas de facilité à écrire, c’est long, lent. Il y a des auteurs chez qui tout sort d’un coup. Je suis l’inverse de cela. J’essaie de me discipliner pour faire évoluer mon rapport à l’écriture, d’aller vers quelque chose de plus naturel, moins coincé. Je dois toujours attendre que ma phrase soit exactement comme je le souhaite pour pouvoir passer à la suivante. Le paragraphe doit être nickel… Tout ça est extrêmement laborieux et fatigant.
En termes de construction de récit, comme les miens sont assez simples, ça n’est pas un casse-tête. Depuis quelque temps, j’ai une agente qui relit mes textes et me fait des commentaires. Elle m’encourage à ce qu’il se passe plus de choses. J’essaie d’intégrer des rebondissements, de travailler davantage la structure narrative.

Dans ce laborieux travail d’écriture, y a-t-il des aspects plus faciles et agréables ?
Oui, les dialogues. J’adore en écrire, et il me semble que je ne me débrouille pas trop mal. Ça vient plutôt du cinéma. J’adore les films d’Arnaud Desplechin ou Aaron Sorkin. Et puis il y a aussi la série de bande dessinée Lapinot, de Lewis Trondheim, où les dialogues sont d’une grande justesse. C’est tout un équilibre, un bon dialogue : il faut que ça sonne juste, mais ça ne doit pas être du langage parlé. Ça resterait fabriqué. Je fais aussi des scénarios de BD où les dialogues prennent plus de place. Dans mes romans, j’accorde énormément d’important à la crédibilité de mes dialogues. Le rythme, la voix, le vocabulaire… Il ne faut pas que ça fasse emprunté : rien de pire que d’essayer de « faire jeune », par exemple. Il y a une sorte de petite mécanique qui m’intéresse beaucoup. Si je m’écoutais, je passerais des pages et des pages à faire parler mes personnages. J’aime bien cet aspect : que ce soit le dialogue qui fasse avancer l’intrigue. C’est comme ça que j’ai envie d’écrire.

Quel est votre rapport aux illustrateurs de vos livres ?
Ça dépend d’un livre à l’autre. J’ai publié un album qui s’appelle Voilà la pluie, chez l’éditeur québécois Comme des géants. C’est l’éditrice qui a contacté l’illustratrice, Maria Dek, mais nous n’avons eu aucun contact. En revanche, pour les Lino, cela s’est passé différemment. J’avais déjà travaillé avec Baptiste Amsallem sur un album, on se connaissait bien, et j’ai pensé à lui pour illustrer ces romans. Il avait commencé à travailler à la plume, avec un style très anglais, très dynamique, un peu dans la lignée de Tony Ross, William Steig ou Quentin Blake. J’avais envie de ça pour Lino. Cela a été compliqué, parce que ma maison d’édition, L’école des loisirs, a déjà beaucoup d’illustrateurs « maison ». J’ai insisté car je voulais me sentir à l’aise avec l’illustrateur, pour avoir une vraie discussion. Avec Baptiste, il y a eu beaucoup d’échanges, et il est vraiment investi dans le projet.
Avec la chanteuse Françoiz Breut, nous avons fait un album qui s’appelle Le grand déménagement. Elle m’avait demandé un texte pour un spectacle à La Bellone, et elle avait fait des illustrations qui étaient projetées. Le tout s’est petit à petit transformé en livre-disque avec des chansons de Françoiz, Mocke et Claire Vailler. Ça devrait sortir en septembre chez Le Label dans la forêt. C’est un projet qui me rend très heureux.
J’ai besoin de travailler avec des gens que j’aime bien, d’être en confiance. C’est assez intime, l’écriture. Il faut que ça se passe bien, que ça ne se limite pas à faire un livre, et puis c’est fini.

pierloot rougeRouge est un livre particulier dans votre bibliographie, il se détache de vos autres textes.
C’est mon préféré ! Je venais de publier mon premier bouquin, et j’ai paniqué à l’idée de ne pas en écrire un deuxième. Rouge ne ressemble à rien de ce que j’ai fait, on pourrait le croire rédigé par quelqu’un d’autre. Celui-là, je l’ai écrit très facilement, j’étais porté par le rythme, les images… J’étais bien dans ce livre. Quand je descendais pour écrire, je me mettais dans son ambiance un peu étrange. La langue était facile, et ce n’était pas la mienne… c’est vraiment très étrange ! J’aimerais retrouver cette énergie-là.

Fanny Deschamps

  • L’amour, c’est n’importe quoi, L’école des loisirs, 2014
  • Jamais contents !, ill. Baptiste Amsallem, La pastèque
  • Rouge, Thierry Magnier, 2017
  • Voilà la pluie, ill. Maria Dek, 2018, rééd. Motus, 2021
  • Lino (et les autres), ill. Baptiste Amsallem, L’école des loisirs, 2020
  • Encore Lino, ill. Baptiste Amsallem, L’école des loisirs, 2021

La nouvelle La boum de John John publiée dans le cadre de la Fureur de lire est disponible en PDF sur le portail Objectif plumes


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°211 (2022)