De la poésie dans les choses simples
Yves NAMUR, La tristesse du figuier, Lettres vives, 2012
Yves Namur fait partie de ces poètes qui construisent au fur et à mesure une œuvre cohérente où chaque pierre posée fait sens avec ce qui a précédé. Ce qui est d’autant plus appréciable, c’est de retrouver, à chaque nouvelle parution, la discrétion et l’authenticité qui caractérisent son univers où réflexion poétique et philosophique se confondent. Les titres de ses recueils, comme les titres des parties qui les composent, sont des clés en soi pour pousser le lecteur à s’intéresser à une autre compréhension du monde. L’image du figuier (déjà apparue dans ses recueils antérieurs), est ici métaphore du poète lui-même : « Je respire comme le figuier a l’habitude de respirer,/ Je parle la langue des figuiers, je transpire, je tremble,/ Je mange et je dors comme le figuier/ En fait, je vis exactement comme il vit. ». Arbre à la particularité de produire directement le fruit sans passer par la fleur, le poète associe cette étrangeté à la perte de ses grandes illusions. Cette perte, aussi douloureuse soit-elle, fait de lui, plus que jamais, un être connecté à l’humanité, un homme ordinaire parmi les autres hommes, avec toute sa vie à mener.
Le doute et l’ignorance qui l’habitent et qu’il revendique restent le déclencheur essentiel dans le processus de création entamé depuis une vingtaine d’années maintenant. Dialoguant avec l’autre, un « Maitre », un « Dieu ou quelque chose comme ça », qui détiendrait, peut-être, des bribes de réponses à ses multiples questions, il cherche, sans relâche, à restituer la « lisibilité » du monde, pour lui-même, mais aussi pour ceux qui partagent ses interrogations : « Maitre, / Je vous le demande avec insistance :/ De quelle réalité puis-je encore rendre compte dans mon poème ?/ De quelle réalité puis-je parler maintenant/ Sans blesser ni décevoir personne,/ Sans importuner et surtout, sans tromper ces gens-là ? ». Conscient du mélange paradoxal entre les illusions et la réalité de toute chose, du vide éprouvé entre ce que l’on vit et ce que l’on croit vivre, le poète souffle sur le voile qui dissimule la vérité des choses simples autour de nous : une maison, des fenêtres, une montagne, une rose,…
Ce qu’on apprécie chez Y. Namur, c’est aussi le dialogue érudit et permanent qu’il entretient avec ses amis poètes : Fernando Pessoa, Rainer Maria Rilke, Israël Eliraz, mais aussi quelques poètes belges dont il est resté proche, dans et par l’écriture : Jean-Claude Pirotte, Guy Goffette, Liliane Wouters ou encore André Schmitz… Dans cette solitude tronquée, il partage et dialogue sur de grands thèmes de poésie, en injectant ça et là leurs paroles au sein du poème : « Oui, / Apprends à voir les choses absentes,/ Apprends surtout à les aimer. » Un de ces thèmes majeurs est l’évocation du silence, et plus particulièrement, de l’existence d’un « silence originel ». Saisir ce silence primordial, ou plus précisément cette « dormition du silence » comme il la nomme, rendrait enfin possible l’exploration tant attendue par le poète pour révéler au monde un pan de l’inexploré : « Ce silence-là/ C’est peut-être bien lui qui nous dira/ Comment regarder la pluie qui tombe sur une semaine de fatigue,/ Ou ces champs de roses qui s’ouvrent et se referment/ Sans que nous sachions vraiment pourquoi/ Ni comment tout ça arrive. »
Cependant, cette recherche d’un silence fécond pour dire l’indicible rime presque toujours en littérature avec des moments de grande solitude. Le poète se rapproche du bord de la limite et se situe plus que jamais « aux abords du poème ». C’est dans cet entre-deux que croît La tristesse du figuier. Dans ce recueil, l’humeur du poète y est plus noire, voire torturée. Comme une blessure dont on ne réalise pas tout de suite la profondeur, celle-ci grandit en lui, faisant écho à nos propres désillusions. Traduisant avec justesse cette vie ordinaire faite de hauts et de bas, il pose la question « Pourquoi l’homme a-t-il oublié/ Toutes ces choses simples de la vie ? », décide d’attendre « que les choses se recomposent d’elles-mêmes » tout en cherchant, toujours, et parfois contre lui-même, l’écriture inachevée du Poème : « Peut-être qu’un poème se compose vraiment/ Quand les mots feuille ou vert disparaissent,/ Quand tous les mots ne savent plus ni qui ni quoi ils sont ? ».
Mélanie Godin