Tuyêt-Nga Nguyen, Soleil fané

L’apprentissage est un chemin solitaire

Tuyêt-Nga NGUYEN, Soleil fané, Grand Miroir, 2009

tuyet nga nguyen soleil fanéLe premier roman autobiographique de Tuyêt-Nga Nguyên, Le journaliste français (Le Grand Miroir, 2007), s’ouvrait par la rencontre illuminante , un matin d’avril 1963, dans Saigon déchirée, entre une petite Vietnamienne de dix ans et un reporter français prenant pour elle, sous les orages de la guerre, le temps d’être humain, attentif, apaisant.

L’épilogue de ce livre frémissant des rêves, des questions, des rires et des larmes d’une petite fille qui grandit, préservée par les hauts murs d’un pensionnat des horreurs du conflit, qu’elle devine pourtant, nous la montrait douze ans plus tard à Bruxelles, où elle achève une licence en sciences politiques, alors que Saigon vient de tomber et se nomme à présent Hô Chi Minh Ville.

Le deuxième, Soleil fané, qui paraît aujourd’hui, nous replace d’emblée en ce moment dramatique : la chute de Saigon, vaincue par Hanoi, le 30 avril 1975. La fin de la guerre promet-elle la réunification pacifique du pays, la réconciliation du Nord communiste et du Sud ? Ou annonce-t-elle «la cruauté, la barbarie, qui ne sont plus le fait d’un quelconque étranger mais des Vietnamiens à l’encontre d’autres Vietnamiens» ?

Tuyêt vient d’arriver en Floride pour un séjour chez des compatriotes, amis de longue date, et c’est de là qu’elle capte à la télévision les premières images de panique, des informations contradictoires. Elle veut croire que les frères ennemis sauront s’entendre mais apprend que les frontières se ferment, que surgissent des camps de rééducation. Et découvre que « certaines paix tuent aussi, en silence ».

Elle aspirait, sitôt ses examens et son mémoire présentés à l’Université de Bruxelles, à rentrer en septembre dans son pays bien-aimé («mes racines, ma source, mon embarcadère»), et à «faire quelque chose pour lui». Sa mère l’y attend, Kiêu l’indomptable, qui l’emmenait à peine née dans le maquis du Nord combattre les Français, mais s’est résolue, pour la protéger, à changer d’arme de rébellion, troquant le fusil contre la plume, à Saigon qui maintenant se referme sur elle comme un piège.

Les premières vagues de réfugiés débarquent en Floride. Tuyêt va-t-elle se porter volontaire pour les accueillir, les aider, et se laisser convaincre de participer au mouvement de résistance qui s’organise pour la démocratie au Viêt-Nam ? Ou va-t-elle, jugeant la cause perdue, couper les ponts avec sa «terre aux mille splendeurs et aux mille douleurs», et se fixer en Belgique, son pays d’adoption, celui de tous les possibles ?

On n’avait pas oublié l’enfant Tuyêt, si grave et si rieuse, confiante et secrète. On ne lâche pas d’un souffle la jeune fille Tuyêt dans la recherche inquiète, passionnée, tourmentée de sa propre voie, son intime vérité. Avec, gravées en elle, les paroles d’adieu de sa mère, avant son envol pour l’Europe : «Souviens-toi, Tuyêt : l’apprentissage est un chemin solitaire.»

Chemin semé des cailloux du doute, de la désillusion, de la colère, de la détresse. Mais jalonné de rencontres décisives, éclairé par des figures essentielles. Oncle Quang, vieil ami précieux, combattant au long cours qui n’abdique jamais. Lâp, dont la vie ne fut longtemps que sauvagerie et violence impitoyable, qui devient cependant son confident, l’entourant d’une silencieuse tendresse ; et à travers qui réapparaît le journaliste français, héros inoublié qui a fait battre son cœur d’enfant. Enfin –et surtout- Kiêu, qui, miraculeusement évadée de l’enfer des camps, la  rejoint en Floride, son âme de guerrière intacte, brûlant de renouer avec l’action, l’engagement, la lutte sacrée pour la liberté de son peuple. Quand sa fille rêvait, la page des combats tournée, de l’emmener vivre en paix, en douceur, en harmonie, à Bruxelles…

Leur dialogue, à cœur ouvert, les unit dans un bonheur poignant, avant que leurs routes ne se séparent. Moment magnifique d’un livre prenant, dont nous garderons l’éclat sombre et l’empreinte.

Francine Ghysen


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 158 (2009)