Les joies (ou les malheurs) de la colocation
Amélie NOTHOMB, Barbe bleue, Albin Michel, 2012
Quel enfer de trouver un logement bon marché à Paris ! Saturnine, une Belge de vingt-cinq ans, a déniché la bonne affaire : la colocation chez un riche noble, don Elemirio Nibal y Milcar. Ce grand d’Espagne, adorateur du Christ et du tribunal de la Sainte Inquisition, recèle bien des secrets. Ses huit précédentes colocataires ont toutes étrangement disparu. Saturnine reste sur ses gardes : a-t-elle affaire à un fou furieux, ou pire un assassin ? La clé de son secret se situe dans cette chambre noire dont il lui a interdit l’accès. Que cache cette pièce ? Pourquoi en prohiber l’entrée à ses convives ? Ce roman est également une histoire à la gloire des couleurs, surtout celle de l’or qui ravit don Elemirio et Saturnine. Au fil des pages, le champagne coule à flots, des mets délicieux toujours plus copieux se succèdent, l’œuf, ce caviar des plus exquis, occupant la première place. Une relation d’amour paradoxale et un jeu de pouvoir s’immiscent peu à peu entre les deux protagonistes. Quel destin tragique se réservent-ils l’un à l’autre ?
Dans un style agréable, concis et sans complaisance, agrémenté d’un vocabulaire recherché, Amélie Nothomb s’attaque pour la première fois au genre du conte. Le titre est transparent et fait référence au conte populaire de Charles Perrault : d’entrée de jeu, nous savons que Saturnine connaîtra des difficultés. Chez Perrault, le devoir d’obéissance prime : les règles sont fixées, celle qui les transgresse prend de très gros risques. La curiosité des femmes est stigmatisée. Amélie Nothomb donne davantage d’épaisseur au personnage principal. Elle présente un homme qui a des valeurs et un secret qui lui semble juste. Elle s’insurge contre le traitement qu’en a fait Perrault : un monstre horrible, sans explication. Vingt ans après son premier roman, Hygiène de l’assassin, Amélie Nothomb continue de surprendre et ravir ses lecteurs.
Émilie Gäbele
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°173 (2012)