Le mort saisit le vif
Amélie NOTHOMB, Le fait du prince, Albin Michel, 2008
Comme souvent, le dernier roman d’Amélie Nothomb – le dix-septième – prend son envol sur un concept original et sur une situation résolument singulière. Avec ce culot tranquille qui apprivoise l’invraisemblable pour le rendre signifiant. On y retrouve aussi le penchant presque obsessionnel de la romancière pour les glissements, les altérations ou les occultations de la personnalité.
Dans Le fait du prince, Baptiste, le narrateur, voit s’écrouler chez lui l’inconnu venu lui demander d’utiliser son téléphone suite à une prétendue panne de voiture. Que faire de ce mort? D’autant plus que le hasard veut – mais est-ce bien le hasard? – que la veille, dans une soirée, un inconnu ait conseillé de ne jamais prévenir la police lorsque quelqu’un vient à mourir inopinément chez soi. Sous peine d’être forcément soupçonné de meurtre et de s’attirer les pires ennuis. Docile à cet appel à la prudence, Baptiste qui n’a aucune attache en ce bas monde, décide alors de laisser là ce mort et de s’approprier ses papiers et son identité – celle d’un Suédois vivant en France – ainsi que sa Jaguar (d’ailleurs en parfait état de marche), puis de s’installer dans sa billa de Versailles qu’il rallie et trouve déserte. Voilà donc Baptiste Bordave devenu Olaf Sildur faisant l’inventaire très satisfaisant de sa nouvelle « propriété ». Jusqu’à ce que revienne Sigrid, l’épouse du mort qui ne s’étonne nullement de la présence de cet autre Olaf et l’accueille en bonne maitresse de maison, comme elle le fait pour tous les amis de son mari de passage chez eux.
Entre la veuve sans le savoir et son hôte d’occasion s’installe, au fil des jours, une relation fondée sur un porte-à-faux plus proche, semble-t-il, d’un mystérieux jeu d’esquive que d’un malentendu majuscule. Leurs conversations, agrémentées de considérations gastronomiques et arrosées d’un flot continu de champagne ou de Clos-vougeot, relèvent à la fois d’une joute mondaine et de confidences plus ou moins pipées.
Bientôt, l’étrangeté de la situation prend une coloration nouvelle avec la révélation d’un contexte des plus périlleux, tandis que le chaste platonisme observé jusqu’alors par le couple, reçoit un sérieux coup de canif. Mais on n’est pas pour autant au bout du parcours et les circonstances exigent une réaction immédiate des deux amants tout frais. Comme si d’une façon ou d’une autre il fallait bien conclure, Amélie Nothomb nous concocte, en deux coups de cuiller à pot aux roses, un épilogue à la fois raide et fastueux (serait-ce pour justifier le titre princier?) digne de la plume feuilletonesque de Ponson du Terrail. Ce qui, certes, n’est pas infamant en soi, mais fait un peu désordre dans un roman dont les dialogues, tout en entretenant l’énigme avec efficacité, prétendent jouer la carte de la subtilité.
D’ailleurs, selon les procédés de vinification Nothomb, ils s’avèrent parfois aussi pétillants que les hectolitres de Roederer ou de Veuve Cliquot ingurgités par la veuve Sildur (surtout elle) et par le faux Olaf. Avec, en sus, ce léger fumet de dialectique paradoxale et scolastique qui est aussi une constante des produits de bouche de la maison
Ghislain Cotton
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°155 (2009)