Quousque tandem…
Amélie NOTHOMB, Les catilinaires, Albin Michel, 1995
Il y aurait une étude amusante à composer sur les quatrièmes de couverture, où l’éditeur ne recule généralement devant aucun sacrifice pour mettre à mal la modestie d’un auteur. Le texte qui est consacré à Amélie Nothomb, au revers de son nouveau roman Les catilinaires, comporte quelques vérités indiscutables : l’auteur a vingt-huit ans, elle nous a déjà donné au cours des rentrées littéraires antérieures trois autres livres : Hygiène de l’assassin, Le sabotage amoureux, et Les combustibles (dont nous apprenons cette année qu’il s’agissait bien d’une pièce de théâtre). Outre les prérequis nécessaires à tout auteur désireux d’être publié et qui l’est (savoir, savoir-faire et faire-savoir) ainsi que les formules laudatives usuelles où chaque mot porte sa couronne (« ...confirme de manière éclatante un talent hors du commun »), l’éditeur d’Amélie Nothomb nous donne également, au détour d’une formule sortie quasiment d’un feuilleton télévisé américain (« … son univers implacable... »), deux mots-clefs que le lecteur aura raison de garder à l’esprit : affrontement et dialogue.
Les catilinaires d’Amélie Nothomb empruntent à Cicéron non seulement un titre, mais également une pugnacité verbale qui finit par venir à bout, toutes proportions gardées, de son Catilina. Amélie Nothomb affectionne les textes dialogués, les phrases courtes et percutantes, la harangue vengeresse du justicier avant l’estocade finale du matador, et c’est encore le cas avec Les catilinaires.
Comme dans ses ouvrages précédents, Amélie Nothomb met en scène des personnages forts, un paisible professeur de langues (déjà) mortes (enfin) admis à la retraite, et un voisin peu bavard, irascible, et encombrant. Le professeur et sa tendre épouse font donc les frais de la conjuration montée par le voisin, aidé indirectement dans sa tâche par une femme monstrueuse, éléphantesque, et débile. L’obstiné Palamède (ah, voilà Proust) s’installe en effet chaque jour entre 4 et 6 dans le salon du couple de retraités, sans prononcer autre chose qu’un oui ou un non évasifs. Après quelques passes d’armes courtoises, le professeur change de tactique et monte à l’offensive, ce qui lui donne l’occasion de découvrir l’étendue du cauchemar vécu par Palamède. Les catilinaires de Cicéron se soldèrent par la mort du patricien dépravé, ceux d’Amélie font, pour la bonne cause, également une victime.
Derrière l’argument du voisin insupportable qui, du théâtre de boulevard à Achille Talon ou Marc Lebut, a donné lieu aux variations les plus désopilantes, Amélie Nothomb a sans doute voulu nous livrer « l’angoisse et le suspense, la passion et la cruauté » annoncés par son éditeur. Mais ses personnages manquent de consistance, même la créature hypertrophiée dénommée « le kyste », et semblent essentiellement destinés à faire valoir les idées toutes faites et les vérités premières énoncées par l’auteur. Au passage, elle déballe quelques citations pêchées au gré de ses lectures et écorche même un titre de Mallarmé. (Quant au poète, cité par Scutenaire, qui disait : « Certes, nous ne sommes pas assez rien du tout », Amélie Nothomb aurait pu donner son nom au lecteur : il s’agit de Gérard van Bruaene.) Bien sûr, ici et là, quelques formules font mouche, et on ne peut dénier à l’auteur une volonté de disséquer les travers de nos contemporains. Mais c’est peut-être là l’écueil majeur de ces Catilinaires : ils baignent dans le dénigrement banalisé et la méchanceté ambiante de notre époque, comme s’il ne s’agissait que d’un fonds de commerce parmi d’autres. On a peine à croire qu’Amélie Nothomb, qui cite Yves Bonnefoy en épigraphe, s’en satisfasse…
Alain Delaunois
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°89 (1995)