Métaphysique indigeste
Amélie NOTHOMB, Métaphysique des tubes, Albin Michel, 2000
Oh la la ! Où veut-elle en venir, notre chère Amélie Nothomb, se demande-t-on en commençant la lecture de son — déjà — neuvième roman, Métaphysique des tubes ? Qu’est-ce que cet existentialisme de bazar (sur le plein et le vide des tubes et les tuyaux), cette réflexion théologique à la va-comme-je-te-pousse (Dieu ne vit mais existe, parce qu’il n’a pas de regard — entre autres) ? Quelques pages plus loin, on comprend : si elle babille sur Dieu, c’est parce que la bébé-héroïne du roman se prend pour le calife divin en personne. Tout le roman fonctionnera de la sorte, entre immersion dans la réalité fantasmée d’une enfant en bas âge et la narration philosophante de l’adulte.
On devrait être amusé, on ne l’est pas : on retrouve la même vanité des élucubrations que dans Péplum, que déjà on n’avait pas aimé ; on ne perçoit pas le même enthousiasme d’écriture que d’habitude ; on ne sent pas l’énergie frondeuse qui anime ses autres romans ; on s’ennuie ; on n’arrive pas à se défaire de la mauvaise impression du début. Pourtant il est clair que la romancière a voulu continuer la formule qui lui réussit, celle du Sabotage amoureux et de Stupeur et tremblements, celle qui se nourrit de son expérience de vie au Japon. Cette fois, il s’agit des aventures d’une fillette, depuis sa naissance jusqu’à ses trois ans. Une fillette qui, dans ses deux premières années, bougeait tellement peu que ses parents l’appelaient la Plante (personnellement, elle se pensait davantage en tube divin), qui un jour se réveilla dans une colère telle que ses yeux virèrent au noir et qu’elle ne décoléra pas avant d’avoir sucé un bâton de chocolat blanc offert par sa grand-mère — on emprunte des raccourcis.
Pour le reste, les épisodes appartiennent à l’enfance de chacun(e) (le bambin qui échappe à l’attention des parents, qui n’est pas content de ses cadeaux d’anniversaire, qui rêve que papa exerce le plus beau métier de la terre, qui manque de se noyer…), sauf qu’ils sont vécus par une petite fille qui croyait être Dieu, comme on l’a déjà dit. Cela change tout : elle comprend toutes les langues de la terre ; elle ne tombe pas dans la mare, elle s’ophélise ; elle a la conscience de tout et choisit précisément ses premiers mots ; elle saisit les moindres ressorts de la mentalité japonaise… Bien sûr que tout roman n’est qu’un jeu, qu’en l’ouvrant on en accepte les règles — celles que nous imposent l’écrivain (e) — mais parfois le jeu lasse, à trop s’étirer, à ne pas inventer de rebondissements, à s’appesantir, à se gonfler comme une baudruche pour se dégonfler tout aussi vite. Cette fois, on n’a pas pu jouer. Ce n’est pas très grave, on est presque sûr que, déjà, la romancière nous concocte une nouvelle fantaisie à sa manière, pour l’année prochaine. À sa meilleure manière, on espère.
Michel Zumkir
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°114 (2000)