Amélie Nothomb, Péplum

De l’art de la dispute en 2580

Amélie NOTHOMB, Péplum, Albin Michel, 1996

nothomb peplumAussi métronomiquement que Noël arrive en décembre, la rentrée litté­raire voit débouler le nouveau roman (dialogué) d’Amélie Nothomb. Et les discussions de recommencer dans les sa­lons de thé, de littérature et de coiffure, chacun y allant de son opinion, de ses com­pliments ou de ses perfidies. Amélie No­thomb le sait et en joue, jusque dans ses livres. Dans Péplum plus que dans les autres puisque dans ce dernier elle intègre les cri­tiques négatives qui lui sont assenées et les utilise comme arme fictionnelle dans le dia­logue qui oppose A.N., écrivaine et Celsius, Ponantais qui vit en 2580. Oui vous avez bien lu, A(mélie) N(othomb) quitte ce siècle pour un séjour dans le futur, dans un temps où n’existent plus sur la Terre que le Ponant et le Levant.

Si la romancière s’est fait enlever c’est parce que le 7 mai 1995, dans une conversation, elle formulait l’idée suivante : « Les scientifiques du futur, qui auront les moyens de voyager dans le passé, sont les responsables de l’éruption du Vé­suve en 79 après Jésus-Christ. Mobile du crime : préserver, sous les cendres et les laves, le plus bel exemple de cité antique — mieux : le joyau historique de l’art de vivre ! » Le lendemain, il était prévu qu’elle soit opérée et qu’à cette occasion, elle su­bisse une anesthésie générale. Elle se ré­veillera quelque 585 années plus tard… Le pressentiment de ce qui s’est passé à Pompéi s’est avéré exact. A.N. devenue gê­nante — notre siècle ne devait rien savoir — les déclencheurs de la catastrophe en 2579 lui ont fait traverser les siècles pour qu’elle ne révèle pas sa découverte.

Si, de cette manière, elle se tait en 1995, en 2580, elle discute à foison avec Celsius afin de comprendre pourquoi elle a été enlevée, pourquoi et comment Pompéi a été détruit, afin de connaître les événements d’après 1995 et bien d’autres choses encore. Elle parle également pour épuiser (vaincre) son adversaire et être renvoyée au moment d’où elle vient. Pour nous faire croire à ses his­toires aussi. Et là de retrouver cet art de l’enfance qu’a conservé Amélie Nothomb de nous faire prendre des vélos pour des chevaux : jusqu’à la dernière ligne, elle ten­tera de nous convaincre : « Quand j’ai eu fini de rédiger ce manuscrit, je l’ai apporté à mon éditeur. J’ai précisé qu’il s’agissait d’une histoire vraie. Personne n’a daigné me croire. » À chacun bien sûr de se laisser prendre au piège de ce nouveau monde où les gens sont habillés de péplums en holo­gramme, où ne s’éditent plus que des ou­vrages gros comme des dictionnaires, où l’énergie est la grande Histoire et la respon­sabilité le principe moteur… Vous pensez peut-être que nous faisons trop de révéla­tions sur Péplum et que nous risquons la déportation ? Peut-être. Pourtant l’essentiel est ailleurs, dans le jeu de (non-)logique au­quel s’amuse la dialoguiste et dans les abou­tissements qu’elle invente à notre société ac­tuelle. Jules Verne n’opérait pas autrement.

Michel Zumkir


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°94 (1996)