Champagne !
Amélie NOTHOMB, Pétronille, Albin Michel, 2014
Auteure d’un roman qui reprend l’argument des Jeunes filles, Pétronille, l’héroïne éponyme du nouvel ouvrage d’Amélie Nothomb, ne nomme à aucun moment son modèle, comme si « l’allusion à Montherlant lui paraissait si évidente qu’elle ne le citait ni de près ni de loin ». Sans doute mue par un même « manque de cuistrerie », la geisha gothique des Lettres belges tait quant à elle le nom de celle qui lui a d’évidence inspiré le personnage de Pétronille Fanto. Les titres Le Néon ou Vinaigre de miel attribués à Pétronille pastichent en effet assez clairement Le Néant de Léon et autre Moutarde douce de la romancière et essayiste française Stéphanie Hochet pour que Nothomb ait jugé toute explicitation superfétatoire.
C’est donc sans plus de glose qu’elle narre sa première rencontre (l’auteure, narratrice du roman, se met elle-même nommément en scène) avec ladite Pétronille, à la faveur d’une séance de dédicaces. Quelques années plus tard, elle découvre avec étonnement que sa jeune et androgyne lectrice vient de publier un premier livre. Séduite aussi bien par la plume que par la personnalité de Pétronille, Amélie trouve en cette dernière la convigne idéale. Comprenez celle qui l’accompagne dans ses fréquentes dégustations de champagne. Expéditions œnologiques qui ont sans doute inspiré à Nothomb les pages expertes et émerveillées qu’elle a consacrées au bulleux nectar dans Le Fait du prince ou Barbe bleue. Compagne d’ivresse, Pétronille devient aussi une amie. Amie irritante et irritable, intransigeante et peu amène, qui jusqu’au bout emmènera la narratrice sur des chemins inattendus.
Alors, cette vingt-troisième livraison d’Amélie Nothomb à son éditeur historique : un roman à clef ? Pétronille lui emprunte certes la mise en scène peu voilée d’un personnage public, mais point la volonté persifleuse.
Un nouvel épisode de l’œuvre autobiographique nothombienne ? Depuis Le Sabotage amoureux, son deuxième roman (paru en 1993), Nothomb défend et illustre le genre et le large spectre de ses nuances. Et Pétronille semble au confluent de plusieurs types d’écriture de soi pratiqués jusqu’ici par l’auteure. On pense d’emblée à une autobiographie romancée, à l’instar de Stupeur et tremblements ou de Ni d’Ève ni d’Adam. Cependant, la fin de Pétronille, malicieuse pirouette, interroge les apparences de vérité du livre et le rattache au domaine de la pure fiction – d’autant qu’après Péplum ou Une forme de vie, on sait Nothomb capable de signer des romans non-autobiographiques dans lesquels le personnage principal est pourtant bien A(mélie) N(othomb). On se rappelle par ailleurs que la romancière, qui professe que « tout ce que l’on aime devient une fiction », s’est déjà essayée à la biographie fantasmée de l’une de ses amies (la chanteuse RoBERT dans Robert des noms propres) : Pétronille pourrait s’inscrire dans ce même registre, mais le silence du livre sur l’identité de celle qui a inspiré le personnage éponyme laisse planer un doute sur l’intention de l’auteure.
Au-delà de ces questions typologiques, Pétronille est avant tout l’histoire d’une amitié entre deux femmes, deux écrivaines, que presque tout semble opposer : Amélie vient d’un milieu aisé, Pétronille est une « prole » ; Pétronille, auteure débutante, vend peu, alors que Nothomb connaît déjà un très large succès ; belge, Amélie s’est établie à Paris et observe avec une certaine perplexité les mœurs hexagonales, tandis que sa jeune amie a toute la gouaille de son Île-de-France natale – Pétronille n’est pas pour rien le nom de la première patronne de la France. De la diversité des caractères et des origines, Nothomb tire, par petites touches habilement distillées, quelques réflexions ironiques sur le monde parisien de l’édition ou sur le métier d’écrivain qui, pour l’auteure de best-sellers comme pour la jeune romancière au succès confidentiel, demeure une activité à hauts risques. Plus subtile que dans Hygiène de l’assassin, la charge demeure, vingt-deux ans plus tard, tout aussi mordante – et contribue à sceller la complicité entre Pétronille et Amélie. Très différentes, ces dernières se rejoignent en effet sur l’essentiel : le champagne, la littérature, et le je-ne-sais-quoi qui fait que deux êtres soudain se trouvent.
De Nothomb, Pétronille offre, aussi, l’essentiel : une écriture concise et ciselée qui, de Londres à Paris et « Acariaz », excelle à peindre la dérision de toute situation. Surtout, Pétronille est campée avec finesse, nuances et une tendresse amusée – à n’en point douter l’un des plus beaux personnages de l’œuvre nothombienne.
Alors, champagne ?
Nausicaa Dewez
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°183 (2014)