Adolphe NYSENHOLC, Bubelè, l’enfant à l’ombre

L’enfant caché

Adolphe NYSENHOLC, Bubelè, l’enfant à l’ombre, postface de Rossano Rosi, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2013, 168 p., 8,50 €

Bien que défini comme roman sur sa couverture, Bubelè, l’enfant à l’ombre d’Adolphe Nysenholc n’entre que par… effraction dans cette catégorie. Le récit – initialement publié chez L’Harmattan en 2007 – des premières années d’un jeune enfant juif, caché sous l’Occupation par ses parents chez un couple modeste de Flamands de la banlieue bruxelloise, s’apparente en effet aux premières années de vie de l’auteur lui-même. « Bubelé », c’est « bouboule », ou « mon petit garçon », le surnom affectueux donné par la mère, Léa.

Elle et son mari Salomon, Juifs de Pologne arrivés en Belgique au milieu des années trente, sont incarcérés à la caserne Dossin de Malines en septembre 1942, avant d’être déportés et assassinés à Auschwitz. Quelques semaines plus tôt, ils avaient confié le garçonnet de trois ans à Tanke et Nunkel (« tante » et « oncle »), des Flamands de Ganshoren, qui vont à la fois le cacher, le protéger, et l’élever, jusqu’à la fin des années quarante. L’écriture de ce texte s’est imposée à Adolphe Nysenholc, auteur de théâtre et d’essais, notamment sur Chaplin, lorsque sont décédés ses « sauveurs », comme il les appelle. Texte bouleversant, dramatique par ce qu’il évoque, et profondément savoureux par son humour distancié, par la verve langagière (flamand, bruxellois, yiddish) qui en traverse les pages, Bubelè, l’enfant à l’ombre s’inscrit dans cette prise de conscience et de parole que s’autorisèrent des enfants juifs, rescapés de la Shoah, dont W ou le souvenir d’enfance, de Perec, ou Histoire d’une vie d’Aharon Appelfeld, sont deux des plus beaux exemples. L’initiation à la vie ne commence pas avec la mort déjà tragique des parents, mais dans la confrontation de l’enfant-adolescent au monde des survivants, qu’ils soient de confession juive, catholique, ou « mécréants ». Où il s’avère que les films de Chaplin eurent, dans leur bonté malicieuse, une influence déterminante.

Alain Delaunois


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 178 (2013)