Parcours de Max de Radiguès

Au service du récit

Max de Radiguès

Max de Radiguès

De L’âge dur à Hobo mom, d’Orignal à Frangins, de Simon et Louise à Bâtard, cela fait une décennie que les bandes dessinées de Max de Radiguès se succèdent sur les tables des librairies. Des albums reconnaissables par leur ligne claire, leur style épuré et la mise en avant des personnages. Pas de décors détaillés, d’illustrations ultraréalistes ou de recherche plastique sophistiquée : le trait se veut simple et le dessin est utilisé avant tout au service du récit. Parcours d’un jeune auteur et éditeur passionné.

Prendre le chemin du dessin
Planche extraite de "Bâtard" (Casterman)

Planche extraite de « Bâtard » (Casterman)

Né en 1982, Max de Radiguès a grandi près de Rixensart. Durant son enfance, c’est un grand lecteur de romans et de bande dessinée, encouragé par une mère professeure de français. À côté de la lecture, il aime dessiner « juste comme ça »[1], en recopiant les personnages des mangas qu’il adore lire. Au moment de choisir sa voie, il se voit mal suivre des « études sérieuses ». « La seule chose qui m’animait, c’était faire de la bande dessinée et raconter des histoires ». Il décide de se lancer dans des études artistiques, bien qu’il n’ait jamais suivi le moindre cours de dessin. Sans aucune formation plastique préalable, il passe les examens d’entrée à La Cambre et Saint Luc… et est refusé des deux côtés ! Loin de se décourager, il commence une année préparatoire à Saint-Luc à Bruxelles où il touche « un peu à tout » : illustration, graphisme, histoire de l’art…

Au bout de cette année de sélection, il est accepté en première année en bande dessinée dans la même école. « J’étais clairement le plus faible de la classe, ce qui s’est révélé être avantageux pour moi : je me suis retrouvé avec trois enseignants et vingt-deux autres professeurs qu’étaient les élèves ». Le fait de n’avoir aucune connaissance technique le pousse à trouver des solutions pour tenir le rythme imposé dans les cours d’illustration. Il utilise des astuces techniques comme le collage ou certains types de cadrages très efficaces. Petit à petit, ces contraintes le conduisent à forger un langage graphique propre, qui va à l’économie de moyens pour réaliser des images qui en disent long.

Le fanzine : autoproduction et improvisation

Lors de ses études, face à la frustration de créer des planches destinées à être ensuite rangées dans un tiroir, Max de Radiguès décide de diffuser lui-même son travail. Il se lance dans le fanzine, médium découvert dans le milieu du punk-rock et du hardcore et qu’il décide d’appliquer à la bande dessinée. Il s’aperçoit qu’il est loin d’être le seul à le faire et qu’il existe toute une communauté.

Aujourd’hui publié par de grandes maisons d’édition, Max de Radiguès continue malgré tout à réaliser des fanzines. Il est toujours attiré par cette forme plus artisanale, d’une part parce qu’il en est un lecteur assidu, et d’autre part par la facilité d’accès et l’absence de prétention de l’objet. C’est également l’aspect communautaire du fanzine qui lui plait : « Ça s’échange, ça circule. C’est un petit milieu auquel j’ai l’impression d’appartenir ».

Bâtard de Max de RadiguèsCertains de ses récits, comme Orignal, publié chez Delcourt, ou Bâtard, publié chez Casterman, sont d’abord parus sous forme de fanzines, imprimés au fur et à mesure de leur création. Pour l’auteur, cette formule présente plusieurs avantages : « Déjà, ça m’oblige à bosser, puisqu’ils doivent paraitre mensuellement. Ça me permet aussi de pouvoir montrer au fur et à mesure ce que je fais. Quand on travaille pendant un an sur un projet, c’est bien de communiquer avec les gens. » De plus, ce médium impose un travail narratif spécifique puisque le récit se construit comme un feuilleton, avec une large part d’improvisation. Au départ d’une idée, qui constitue en général le premier numéro du fanzine, il avance et « voit ce qu’il se passe ». Après quelques numéros, il s’agit de prendre du recul et de réfléchir à la concrétisation de son histoire sur la base des éléments rassemblés jusque-là.

L’influence américaine

Vers seize ans, Max de Radiguès découvre, par hasard, un album de Guy Delisle publié à l’Association. Cette lecture constitue un véritable déclic pour lui : une autre bande dessinée est possible. Lors de ses études, il élargit ses horizons : bande dessinée « d’auteur », alternative, fanzines… Aujourd’hui, c’est la bande dessinée indépendante américaine qui le captive le plus : « Il y a là-bas une pratique qui est plus dans le récit qu’axée sur la forme ». Et puis, le monde des comics n’est pas tributaire d’un héritage comparable à celui de la bande dessinée franco-belge, dont il ressent ici le poids.

Max de Radiguès passe une année en résidence aux États-Unis. En 2009-2010, il vit à White River Junction[2], une toute petite ville du Vermont qui accueille une école de bande dessinée. En tant qu’auteur invité, Max de Radiguès assiste aux cours et en donne lui-même, tout en étant une personne de référence pour les élèves. Cette année charnière revêt une grande importance dans sa carrière : pour la première fois, il ne fait que de la bande dessinée, tous les jours. Et ça lui convient parfaitement.

Pour autant, il se sent moins influencé par le neuvième art que par les romans américains qu’il dévore. Ses lectures « transpirent dans ses histoires », jusque dans les détails comme les noms de certains personnages. « Il y a toujours un lien direct entre ce que je lis et ce que je vais raconter. » Il apprécie la littérature américaine parce qu’il la trouve plus axée sur le récit et l’action. Il juge la littérature française, en revanche, parfois trop centrée sur la forme. Comme dans les livres qu’il aime, chez Max de Radiguès, c’est le récit qui prime.

Raconteur d’histoires

Max de Radiguès se voit comme « raconteur d’histoire, mais par le dessin ». Dans les carnets où ses projets prennent forme, la création du récit passe immédiatement par l’illustration. L’image raconte, le texte est là comme appui : « J’essaie que le texte prenne le moins de place possible pour laisser le récit ouvert et laisser les images parler ».

Hobo Mom de Max de RadiguèsS’il a écrit et illustré la plupart de ses livres, Max de Radiguès s’est aussi essayé à d’autres types de collaborations, comme Hobo mom, réalisé avec l’Américain Charles Forsman. La cire moderne (Casterman), est un récit écrit par Vincent Cuvellier. Il aime l’humour de l’auteur et s’est amusé à croquer un personnage comique. À l’inverse, pour l’album Weegee : serial photographer, c’est l’illustrateur Wauter Mannaert qui signe les dessins. Radiguès jugeait les siens trop lisses pour ce récit.

Max de Radiguès, employé du Moi

Pendant ses études, alors qu’il publie lui-même ses récits dans des fanzines, il va à la rencontre de la maison d’édition bruxelloise L’employé du Moi pour recevoir des conseils sur son travail. Des liens se créent avec l’équipe et, plus tard, lorsqu’une place se libère dans leur atelier, Max s’y installe et, de coup de main en réunion, il finit par faire pleinement partie de l’équipe. Travailler sur les livres d’autres auteurs se révèle riche en enseignements : « Lorsqu’on travaille sur une maquette, on reste des heures sur un livre et, forcément, on s’imprègne de plein de choses ».

Le processus de création d’un livre, au-delà du travail d’auteur, le passionne. En tant qu’éditeur, cette compréhension profonde du processus de réalisation d’un livre l’aide lorsqu’il travaille avec d’autres maisons d’édition : « Quand je travaille pour Sarbacane ou pour Casterman, je peux parler d’égal à égal de la maquette, des papiers, participer au façonnage du bouquin, je sais quel pourcentage prend un libraire… ça me permet de prendre part à toutes les étapes. »

L’âge dur ?

L'âge dur de Max de RadiguèsLes rapports humains semblent être la matière première des récits de Max de Radiguès. Quel que soit le genre auquel il s’essaie ou le public auquel il s’adresse, ce sont les liens entre les personnes qui constituent la substance de ses livres. « Même quand j’essaie de ne pas le faire, je le fais », dit-il à propos de Bâtard. Pour cet album, il voulait faire quelque chose de différent : un récit frontal, brutal, axé sur l’action. Pourtant, le livre a très vite glissé sur l’essentiel : la relation entre une mère et son fils.

Plus particulièrement, l’adolescence tient une place de choix dans son œuvre : beaucoup de ses livres traitent de cet âge de la vie (L’âge dur, Orignal) ou s’adressent aux adolescents (Simon et Louise, Frangins). L’auteur évoque cette période avec beaucoup de justesse et de finesse, en se basant sur ses souvenirs et ses observations, même s’il s’agit avant tout de fiction. L’intensité de l’adolescence, ses montagnes russes émotionnelles, moins dans le contrôle qu’à l’âge adulte, voilà une matière de choix.

« J’ai commencé à m’intéresser aux récits pour adolescents lorsque j’étais libraire. Je devais conseiller des livres à des pré-ados et ados et je me suis rendu compte que la plupart des gamins lisaient des bandes dessinées qui laissaient franchement à désirer. Des albums pleins de stéréotypes, misogynes, potaches. Or, l’adolescence est un moment très riche. Je voulais faire des albums où les ados ne sont pas des attardés boutonneux, où les parents et les profs ne sont pas débiles. Je voulais faire quelque chose que j’aurais eu envie de lire à cet âge-là et surtout, ne pas prendre les ados pour des idiots. Alors qu’en littérature pour ados on peut parler en profondeur de plein de sujets difficiles, dès qu’il y a du dessin c’est plus compliqué de trouver des sujets sérieux. »

D’un point de vue technique, Max de Radiguès reste fidèle à la plume. Changer d’outil ou de technique « serait plus un obstacle face à ce que j’ai à raconter. J’ai besoin de quelque chose à quoi me fier, sur quoi m’appuyer. […] Que ce soit un récit jeunesse ou adulte, des ados sur la plage ou une course-poursuite en voiture, je dessine toujours de la même manière. » Pourtant, les histoires de Max de Radiguès ne sont jamais redondantes, et de nouvelles contraintes graphiques ou narratives le font avancer dans sa pratique. Sa curiosité et son envie d’apprendre semblent assurer que bien d’autres récits suivront, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs.

Fanny Deschamps


[1] Tous les propos cités sont issus d’une interview de Max de Radiguès, effectuée le 16 avril 2018 dans les locaux de la MEDAA (Maison européenne des autrices et des auteurs).
[2] Il raconte cette année dans l’album Pendant ce temps à Whiter River Junction, publié en 2011 chez l’éditeur 6 pieds sous terre.


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 199 (juillet – septembre 2018)