Patrick Lowie a une vie de multiples professions, combats artistiques et villégiatures. Une œuvre multiforme et singulière. Si adolescent, il se voyait sportif de haut niveau, il a commencé sa carrière dans le cinéma et le théâtre, avant de devenir écrivain. En 2012, il a initié un projet original dont nous rendons régulièrement compte sur le blog du Carnet et les Instants : la création et la publication, en quarante épisodes, des Chroniques de Mapuetos, de l’écrivain inconnu Marceau Ivréa.
Comment sont nées Les Chroniques de Mapuetos ?
J’étais en panne d’écriture depuis 2008. Pas vraiment en panne, mais beaucoup d’énergie déployée pour la maison d’édition Biliki, pour Rezolibre, le OFF… trop d’obstacles, trop d’embuscades. J’étais aussi dans une période de lecture sur le XVIème siècle pour écrire un livre sur cette période. Je venais de publier un pamphlet sur l’édition belge, Le printemps des chiens errants (Biliki, 2009). Puis, il y a eu mon départ en 2010 pour vivre à Marrakech, se retrouver dans l’instabilité des pseudo printemps arabes, l’attentat de Marrakech, et la mort de Tiago, inspirateur du personnage de Pedro dans mes trois premiers romans, la plainte d’un duo d’éditeurs écervelés contre moi pour avoir publié un lien sur Facebook, le cancer de mon père et mon divorce. Une tornade. Puis, je fais un rêve dans la nuit du 11 septembre 2012. Je rêve de Mapuetos…
La ville inventée par Marceau Ivréa… Comment avez-vous découvert l’œuvre de cet écrivain inconnu ? A-t-il seulement existé ?
Je n’ai rien inventé. Grâce à cette plainte des deux éditeurs farfelus, j’ai dû me rendre plusieurs fois au tribunal de Bruxelles. Et sachant que j’étais écrivain, un vieux greffier m’a parlé et m’a proposé de prendre connaissance de son dossier dans les archives. Et là, j’ai découvert des milliers de pages manuscrites (souvent avec une écriture de pattes de mouche) sur des feuilles A4 mais aussi sur des post-it colorés. Marceau Ivréa était mort depuis douze ans dans une prison bruxelloise. Sans famille. Je me suis donc approprié sa littérature pour faire connaître cet écrivain hors du commun. Ce qui est étrange mais renforce le projet, c’est que j’ai rêvé de Mapuetos avant d’avoir eu accès à ce dossier.
Comment travaillez-vous sur cette œuvre volumineuse et disparate ?
Le travail d’écriture de Marceau Ivréa est complètement déstructuré. Comme je n’ai pas trouvé de mécène pour travailler sur son œuvre, j’ai décidé de travailler de la manière suivante : j’extrais de la masse de papiers, un peu au hasard, comme un tirage de la loterie, et je place les bouts de papier les uns à côté des autres et je crée une suite logique. J’essaye donc de structurer ce qui est déstructuré tout en essayant de garder toute la poésie. J’accepte la critique d’appropriation des mots d’Ivréa pour en faire ma propre œuvre. Mais sans ce travail qui m’occupe depuis quatre années maintenant, l’œuvre de Marceau Ivréa n’aurait jamais été offerte au public.
Les lieux sont très importants, dans ces chroniques comme dans votre œuvre personnelle.
C’est probablement ce qui me rapproche le plus de Marceau Ivréa. La différence est que les villes que je décris existent, elles sont des personnages dans mes livres. Avec Ivréa, on est complètement et définitivement dans l’onirique. Mapuetos est une ville imaginaire et il ne parle que d’elle, à part de Marrakech. Il est allé là où je ne suis jamais allé vraiment. Il est au-delà des frontières. Avec lui, on est dans tout et dans rien. Et même lorsqu’il écrit de la prison de Saint-Gilles, on a la sensation d’être dans un théâtre. C’est indéniablement toute sa force et sa splendeur. Rien que d’en parler je suis très ému.
Ce projet n’est pas seulement littéraire, il est multimédia : opéra, site internet, performance…
Le site web est mon travail. Je crée, dans la suite de l’imaginaire d’Ivréa, un dictionnaire des rêves qui est alimenté régulièrement. Il s’inspire complètement de son œuvre, ses ambiances, son humour, mais là, je suis l’auteur des définitions de ce dictionnaire. Pour les performances, des lectures ont déjà été proposées à Marrakech et à Bruxelles avec Abdellatif Hamma. Je travaille sur la création de l’opéra à Marrakech avec l’ensemble Jossour, un groupe de dix musiciens et treize choristes sous la direction de Youssef Kassimi Jamal. Un spectacle, je l’espère troublant, guérisseur, volontairement onirique et étrange.
Quelles sont les joies et les peurs que vous avez face à ce vaste projet ?
J’ai appris à vivre sans peur ni joie. La peur paralyse, je ne suis pas paralysé. Je ne regrette rien. Je constate seulement ne pas avoir été suivi, aidé, propulsé, financé. Le fait de m’occuper d’un auteur comme Marceau Ivréa me tranquillise. J’ai mis mon ego de côté pour me dédier à une œuvre incomparable. Chacun de ses livres publiés est une joie. Des personnes me parlent de lui, de plus en plus, et cela me rend heureux aussi. Mapuetos est ma montagne virtuelle de la sagesse. Mon bonheur intérieur. Et si ce projet devait s’arrêter prématurément, ce sera le destin.
Michel Zumkir
Article publié dans Le Carnet et les Instants n° 190 (avril – juin 2016), p. 31-32.