Portes et livres ouverts : Petites lectures du lundi à Sart-Jalhay

Les petites lectures du lundi à Sart-Jalhay – Photo Michel Torrekens

De nombreux lieux présentent, font vivre et découvrir, l’œuvre d’auteurs belges. Des lieux essentiels qui mettent en scène le livre, le rendent vivant et sortent le lecteur d’une lecture en solitaire. Tel est le pari que s’est lancé l’organisatrice des Petites lectures du lundi à Sart-Jalhay.

La littérature se niche parfois dans des endroits bien reculés, éloignés des pôles urbains où se concentrent bien souvent les grands événements artistiques, ce qui explique que les rendez-vous proposés par cette rubrique sur les animations littéraires se soient majoritairement situés à Bruxelles. Ces lieux de décentralisation sont pourtant précieux pour le public de ces communes excentrées où l’offre culturelle n’est pas aussi conséquente que dans les grands pôles. Ce lundi 30 septembre-là, plus de cent kilomètres nous séparaient de la petite commune de Sart-Jalhay, située au sud-est de Verviers et nous nous réjouissions que cette rubrique se fasse nomade pour l’occasion.

Le petit théâtre d’André Loncin

Responsable des activités culturelles du centre culturel de Sart-Jalhay (CCSJ), Arlette Hennico a imaginé ces soirées il y a plus de cinq ans. L’impulsion a notamment été donnée par André Loncin, qui en a été l’initiateur en octobre 2014 avec sa lecture-spectacle du Journal d’un fou de Gogol. Originaire de Charneux, à un jet de pierres (du pays) de Sart-Jalhay, André Loncin a imaginé ces lectures-spectacles au sein de la Compagnie Le petit théâtre dont il est co-directeur. Avec un décor a minima, il y met l’accent sur la magie des textes, sublimée par l’art de la parole. Il organise notamment des ateliers de lecture à voix haute en milieu scolaire. Metteur en scène et comédien, il fait carrière à Paris et sur les routes de France avec une petite camionnette et son matériel, tout en s’offrant des incursions régulières en Belgique et particulièrement dans sa région d’origine. Enthousiasmée par ses lectures-spectacles, Arlette Hennico l’a régulièrement invité aux petites lectures du lundi. C’est ainsi que la programmation des séances précédentes a fait la part belle à de grands textes d’auteurs de la littérature mondiale, mis en voix par André Loncin :  Une partie de campagne et d’autres nouvelles de Guy de Maupassant, L’enfant d’Hiroshima, correspondance émouvante d’une mère japonaise avec un de ses enfants d’Isoka et Ichino Hatano, Un loup est un loup de Michel Falco, Une soirée à Mörbacka de la Suédoise Selma Lagerlof, Petit arbre, texte de l’Indien Cherokee Forrest Carter, Soie d’Alessandro Baricco, Les cervelles molles, en… patois beauceron du poète paysan Gaston Couté ou encore un florilège de textes sur le thème de la nuit : Encre noire et clair de lune.

Point de littérature belge jusqu’en janvier 2019, date à laquelle est proposée une soirée autour du magnifique roman La Theo des fleuves, du Belge et Bruxellois Jean-Marc Turine, tout auréolé du prix 2018 des Cinq Continents de l’Organisation Internationale de la Francophonie (O.I.F.). Après une présentation de l’éditrice, Anne Leloup, qui a créé Esperluète, Veronika Mabardi a proposé une lecture séquencée de l’ouvrage primé, tandis que Pirly Zurstrassen, compositeur et musicien reconnu de jazz, offrait un accompagnement on ne peut plus approprié. Ses notes à l’accordéon semblaient sortir directement de l’histoire envoûtante et émouvante de Jean-Marc Turine, la couverture de son livre reprenant par ailleurs la photo d’un… accordéoniste. Cette découverte d’un écrivain belge a donné l’envie d’en faire connaître d’autres et pas des moindres, ce qui a motivé notre déplacement à Sart-Jalhay ce soir-là.

Toi qui pâlis aux noms des auteurs belges

Pour cette quatorzième soirée centrée exclusivement sur des écrivains du patrimoine belge, le public a convergé vers un bâtiment à l’architecture typique. Située sur la place du Marché, au cœur du village, la Maison Bronfort dispose d’une salle avec colombages et parquet en bois sur lequel ont glissé les années. Cinquante personnes peuvent s’y tenir, en arc de cercle. C’est à nouveau Pirly Zurstrassen et son accordéon qui ont ouvert le bal, pourrions-nous écrire, avec Brel et son temps où Bruxelles chantait, où Bruxelles dansait… Pour cette soirée pâlissant aux noms des auteurs belges, Pirly Zurstrassen est entouré de quatre collègues du Conservatoire royal de Bruxelles, professeurs de la section Arts de la parole : Manuela Sanchez, Françoise Villiers, Jean-François Brion et Bernard Gahide. En une heure, ils vont offrir un florilège de textes anthologiques, qui tous méritent le détour et bien davantage, comme L’employé, de Jacques Sternberg. L’extrait lu avec une belle énergie, dit la colère du fonctionnaire face à l’ennui d’une journée de huit heures pour une tâche qui n’en nécessite qu’une ! Suit, sur un ton enjoué, souriant, voire coquin, l’arrivée de Plume d’Henri Michaux au Palais, muni de ses lettres de créance. Profondeur et intimité dans la voix ensuite, pour évoquer le premier matin du monde dans La chanson d’Ève de Charles Van Lerberghe. Le récitant suivant convoque émotion et tendresse, avec une belle sobriété d’effets et en s’appuyant sur la beauté simple des mots, pour À mon père, hommage rendu par Max Elskamp. La soirée se poursuit comme une veillée où le temps s’est arrêté. Ainsi, Marcel Thiry nous invite Dans un wagon de seconde, où « une étrangère dormait. Elle dort, et le temps passe, et le train va. » Les évocations sont fortes sous la plume de ces écrivains et le pari de la parole pour transmettre des textes de haute poésie est réussi.

Norge, des poèmes bons à entendre

Tantôt les textes sont courts comme des aphorismes, tantôt longs et porteurs de toute une histoire, comme Du bonheur : Norge imagine un monarque de génie qui décrète le bonheur obligatoire sous peine de… mort ! Dans Chant du bronze, Liliane Wouters clame : « Il faut que le cœur se brise ou se bronze. Voix des astres, consolez-moi. » Un jeu de mimes discrets proposé par les récitants accompagne l’appel de la poétesse. Retour tout en humour de Norge qui se demande Comment poussent les cacahuètes ?. Il rappelle non sans malice que l’On peut se tromper, à la suite de son personnage Aristide qui a longtemps cru aimer des pommes qui n’étaient que des crottes de girafe. Lu avec une diction qui permet d’apprécier les subtilités et délicatesses de la langue française, le texte suivant reprend le Testament de Liliane Wouters « à l’enfant que je n’ai pas eu ». Norge encore avec son poème de la salutation, Les oiseaux, dans lequel François se tait pour nous rappeler que nous avons été des oiseaux… Pas de littérature belge sans humour et Le professeur de philosophie de Jacques Sojcher emporte le récitant dans une logomachie délirante à faire peur. Un moment que l’on n’est pas prêt d’oublier ! Avant de revenir à Norge qui, décidément, aura été le poète de la soirée. On entendra encore de lui : Le peintre, Le cirque, Économie. Norge (1898-1990) qui vient d’être remis à l’honneur dans un ouvrage de référence qui fera désormais autorité : Une chanson bonne à mâcher. Vie et œuvre de Norge, par un spécialiste de l’œuvre, Daniel Laroche, aux Presses Universitaires de Louvain. Et rien ne vaut le retour aux textes, ce que nous propose la collection Espace Nord dans l’anthologie Remuer ciel et terre, ce à quoi nous ont invités avec bonheur les Petites lectures du lundi de Sart-Jalhay.

Michel Torrekens


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 205 (2020)