Parier pour la jeunesse
Pierre CORAN, Le cœur andalou, Livre de Poche Jeunesse, 1993
COLLECTIF, Le sable et l’ardoise. Dix auteurs belges écrivent pour les enfants, La Longue Vue, 1993 (textes d’André-Marcel Adamek, Anne François, Eugène Savitzkaya, Frank Andriat, Xavier Deutsch, Charles de Trazegnies, Francis Dannemark, Amélie Nothomb, Claude Salses, François Emmanuel)
Les jeunes adolescents acquièrent souvent la fâcheuse habitude de ne voir dans les livres que des sujets de dissertation imposés. La lecture comme outil de réflexion, moyen de formation intellectuelle et morale ? Soit, mais le plaisir ne s’y perd-il pas, la beauté d’un texte n’en est-elle pas occultée ? C’est à respecter ce difficile équilibre que Pierre Coran s’est attelé avec Le cœur andalou, court roman, sensible et pudique. Histoire vraie d’un adolescent cloué dans une chaise roulante à la suite d’un accident et qui ne reprendra l’espoir de guérir que grâce à un subterfuge de sa mère : celle-ci lui invente un correspondant épistolaire, affublé du même handicap, et qui lui, a la ferme volonté de s’en sortir. Le mensonge comme révélateur, la question est intéressante. L’écriture comme exutoire — même si la poésie, chère à l’auteur, apporte ici un accent singulier — voilà qui est moins original. Ce qui l’est plus en revanche dans ce livre, c’est l’art du raccourci, de la litote et du non-dit. Pour remplir les blancs, il faudra s’exercer à une lecture active, Imaginative et nuancée. Certains adolescents y parviendront, mais d’autres, sans doute, s’en décourageront. Le pari n’est-il pas risqué ?
Un autre pari est celui qu’a tenu la Communauté française à l’occasion de La Fureur de Lire 1993. Il s’agissait de demander à dix auteurs belges, et non des moindres, d’écrire pour les enfants. Le résultat est un recueil, intitulé Le sable et l’ardoise, où contes et nouvelles se côtoient. De qualité forcément inégale, l’ensemble est pourtant de très bonne tenue, sans le moindre relent scolaire, et recèle des promesses qu’il ne resterait qu’à tenir. Toutefois, si le livre est réellement destiné à un public d’enfants, pourquoi avoir tant négligé les illustrations dont certaines sont d’un amateurisme désolant ? Pourquoi, sous l’apparence luxueuse, un volume d’une grisaille glacée ? Ne serait-ce pas que l’on ait d’abord songé aux auteurs et à l’événement, avant de se soucier du lecteur potentiel ? Il est regrettable qu’une telle initiative ne soit pas complètement aboutie. Reste l’espoir qu’elle en suscite d’autres.
Dominique CRAHAY
Le Carnet et les Instants n° 82, 15 mars – 15 mai 1994