Le 4 mai 2019, le prix Farniente a fêté ses vingt ans. Il a pour objectif de mettre en valeur un roman pour la jeunesse dans deux catégories d’âges : les 13-15 ans et les 15-18 ans. Son originalité réside dans le fait que les comités de lecture sont composés d’adultes et d’adolescents, mais aussi et surtout que le prix est décerné directement par des jeunes. Explications…
Genèse du prix
Tout a commencé il y a un peu plus de vingt ans dans les comités locaux de la Ligue des familles à Farciennes où deux mamans très impliquées, Catherine Jottrand et Jacqueline Loss, qui accompagnent leurs enfants dans leurs lectures scolaires, discutent du prix Bernard Versele, lui aussi né dans la Ligue des familles. S’il promeut des livres de qualité, il se limite à l’enfance et au début du secondaire. Par ailleurs, les comités de lecture sont uniquement composés de prescripteurs (libraires, bibliothécaires, enseignants). Persuadées du bien-fondé de prix littéraires pour la jeunesse, mais voulant aussi explorer d’autres orientations, Catherine et Jacqueline décident de créer le prix Farniente en couvrant une tranche d’âge inexplorée par le prix Versele (les jeunes de 13 à 18 ans). Elles intègrent les principaux intéressés dans les comités de lecture, à savoir les adolescents, et y donnent accès à toute personne intéressée par la littérature de jeunesse, postulant que la passion de la lecture l’emporte sur les connaissances littéraires (inutile donc d’avoir un diplôme de romaniste ou de bibliothécaire pour y entrer).
D’où vient le nom du prix ? Les deux amies veulent que celui-ci fasse référence à leur commune d’origine, Farciennes, une des plus pauvres de Belgique, et très multiculturelle. Elles choisissent ainsi d’en garder les trois premières lettres et, dans la mesure où elles veulent casser l’idée de lecture scolaire obligatoire et promouvoir le plaisir de lire, le mot « farniente » s’impose à elles comme une évidence. En outre, l’origine italienne du terme fait office de clin d’œil aux nombreuses cultures de la commune où le prix est né.
L’idée étant lancée, il reste alors aux deux amies à trouver du soutien, que la Ligue des familles leur accorde naturellement en publiant un article dans Le ligueur pour faire découvrir le prix et recruter des membres pour le comité de lecture. Très vite, les volontaires affluent, Catherine et Jacqueline effectuent d’abord des choix personnels parmi les nouvelles publications, puis elles s’entourent de professionnels pour être conseillées sur les nouveautés et obtenir des services de presse. Elles sont rapidement épaulées par deux autres mères actives dans la Ligue des familles : Chantal Balzat et Brigitte Stevens.
Au début, trois catégories sont prévues : un prix pour les 13-15 ans, un pour les 15-17 ans et un pour les 17 ans et plus. Le quatuor d’organisatrices se rend compte que la dernière catégorie a peu de succès et décide de la supprimer pour n’en laisser que deux. Celles-ci ont, durant quelques années, porté l’intitulé de « Basket jaune » (13+) et « Basket verte » (15+) pour changer d’appellation en 2019, en devenant respectivement les catégories « Dromadaire » et « Chameau ».
Le comité organisateur du prix a par ailleurs mis fin à son partenariat avec la Ligue des familles pour voler de ses propres ailes…
Le comité de sélection
Comment sont sélectionnés les livres mis en compétition ? Il y a dans l’équipe du prix Farniente une soixantaine de personnes, adultes et adolescents, qui participent à la sélection. Chaque groupe de lecture (pour le moment, il y en a deux à Bruxelles et un à Charleroi) se réunit une fois par mois pour débattre sur la douzaine de livres lus.
Parmi les critères de sélection, le comité de lecture prend soin de choisir des livres accessibles à tous avec des thèmes qui prêtent à débat. Il veille également à équilibrer les thèmes pour susciter l’intérêt des filles et des garçons, à privilégier une certaine qualité littéraire qui ouvrira les portes de la lecture « pour adultes », tout en gardant à l’esprit le plaisir de lire. En outre, il essaye, autant que faire se peut, de promouvoir les auteurs et éditeurs belges, d’équilibrer les maisons d’édition, d’éviter les séries en plusieurs tomes et de privilégier les romans d’écrivains peu connus ou pas encore primés. Les traductions sont aussi limitées dans la sélection pour permettre au comité d’inviter plus facilement les auteurs lors de la remise du prix.
Aux alentours du mois d’avril, les membres du comité de lecture se réunissent une dernière fois pour fixer les cinq livres qui feront partie de la sélection dans les deux catégories 13+ et en 15+. Les débats sont passionnés lors de cette réunion. « Chaque année, le comité lit près de trois cents livres, en discute lors des réunions mensuelles et, finalement, fait une sélection préliminaire. C’est alors le marathon de lecture pour la discussion finale qui mènera à la dernière sélection. Ce choix est certainement discutable mais choisir, c’est aussi renoncer ! », explique une des organisatrices.
Pour arriver à la sélection 2020, le comité a lu 276 livres (ce qui correspond à 81 812 pages !). Ces romans ont été écrits par 213 auteur(e)s dans 10 langues différentes.
Le fonctionnement du prix
Le 4 mai 2019, le prix a fêté ses vingt ans. Ce jour-là, le comité organisateur a planifié une fête à Bruxelles où le prix 2019 a été décerné à Flora Banks d’Emily Barr (en 13+) et à La noirceur des couleurs de Martín Blasco (en 15+).
Tout est mis en œuvre pour que les auteurs des deux sélections soient présents car ils sont interviewés par les jeunes qui ont lu leur livre et voté pour eux. Cet événement draine un public essentiellement adolescent accompagné d’enseignants et de bibliothécaires, ce qui en fait un moment convivial et décontracté. Un jeu est par ailleurs organisé sur place avec des questions sur les romans lus durant l’année et l’équipe gagnante reçoit un cadeau (des livres, vous vous en doutez).
La proximité avec les auteurs et le jeu font du prix Farniente un moment prisé par les jeunes, mais aussi par les auteurs qui ont un contact direct avec leurs lecteurs. C’est un objectif important pour le comité organisateur de pouvoir laisser la place aux adolescents et les laisser sans fard poser les questions qu’ils souhaitent. Ainsi, en 2018, les élèves ayant interrogé Marie Vareille sur son roman Elia, la passeuse d’âmes étaient très intéressés par la question de la censure. Ce jour-là, l’auteure, un peu fatiguée par sa grossesse presque à terme, avait répondu en souriant que non, son éditeur n’avait censuré aucun passage violent de son récit. Le silence fasciné des jeunes qui s’en est suivi était savoureux !
Pour donner le ton de l’ambiance de l’événement, voici une autre anecdote : en 2019, Gary Schmidt, un auteur new-yorkais faisant partie de la sélection avec son roman Jusqu’ici tout va bien (mais aussi l’auteur du célèbre récit La guerre des mercredis), demande quelques jours avant son départ en Belgique à Catherine Jottrand s’il doit emporter dans sa valise un smoking ou des sandales pour la remise du prix. Sans hésitation, Catherine lui répond : « Des sandales ! ». Chaque auteur primé reçoit en cadeau un hamac, un beau symbole qui présage d’agréables moments de farniente…
Lorsque le prix a été décerné et que le tonnerre d’applaudissements s’est calmé, la sélection pour l’année suivante dans les deux catégories est annoncée. Les élèves ont alors la possibilité de lire jusqu’au mois d’avril de l’année qui suit les cinq romans d’une ou des deux catégories, seuls ou accompagnés par leur professeur de français et ce sont eux qui envoient directement au siège social du prix leur bulletin de vote avec leur ordre de préférence pour les romans de la sélection (il est conseillé, mais pas obligatoire d’avoir lu les cinq livres pour participer).
Le projet Éléonore
En 2006, Chantal Balzat crée le projet Éléonore qui vise à réaliser des audio-livres avec les romans de la sélection du prix Farniente afin de permettre aux jeunes non- ou mal-voyants d’avoir accès au plaisir de lire. Le prénom donné à ce projet fait référence à une jeune fille aveugle qui portait ce prénom et adorait lire.
Chaque année, des élèves donnent leur voix aux récits qu’ils affectionnent, encadrés par leurs enseignants, les bibliothèques spéciales de la Ligue Braille et l’ASBL La Lumière, mais aussi l’aide précieuse de Véronique Francq qui supervise le projet. Ce dernier suscite un certain engouement pour son caractère littéraire, social et ludique à la fois. Les élèves « prêteurs de voix » sont d’ailleurs présents lors de la remise du prix et remettent en main propre à l’auteur le CD du récit qu’ils ont enregistré.
Depuis 2006, 101 romans ont été mis en voix par 1500 lecteurs dans 46 écoles, bibliothèques, mouvements de jeunesse, entourés par 56 adultes. Un beau succès qui ne serait pas possible sans les dons des sponsors permettant une aide logistique.
Les auteurs et livres primés

Eva kavian
De nombreux auteurs connus et reconnus ont obtenu une ou deux fois le prix Farniente. Il est impossible de tous les citer, mais en voici quelques-uns : Frank Andriat, Pierre Bottero, Joyce Carol Oates, Xavier Deutsch, Armel Job, Eva Kavian, Xavier Laurent-Petit, Moka, Michael Morpurgo, Jean-Claude Mourlevat, Marie-Aude Murail…
Il est intéressant de noter que les jeunes aiment voter pour des auteurs moins connus sur des thèmes parfois durs et controversés. Citons par exemple Bonne nuit, Sucre d’orge de Heidi Hassenmüller où figurent des scènes explicites d’inceste, La dernière licorne d’Eva Kavian qui évoque le deuil d’une sœur ou Zelda la rouge de Martine Pouchain où le handicap d’une jeune fille est évoqué sans fard, mais avec beaucoup d’humour.
L’avenir
L’équipe fondatrice du Prix Farniente est formée d’une poignée de personnes, toutes bénévoles, dont certaines sont en poste depuis vingt ans. Elle commence à s’essouffler, même si elle reste persuadée de la pertinence de ce projet et de sa mise en œuvre. Plutôt que s’encroûter dans de vieilles habitudes et suivre chaque année les mêmes recettes qui plaisent, elle a décidé de passer le flambeau en douceur à la génération suivante tout aussi enthousiaste et pleine d’idées 2.0, forcément !
Une opportunité de regrouper des forces vives est apparue intéressante et, dès la rentrée de septembre, trois associations vont travailler main dans la main : le prix Farniente, le festival Cosmos et Time 4 Events, chacune apportant aux autres ses compétences spécifiques, ce qui leur permettra de continuer à faire vivre le projet. Le prix sera sans doute un peu différent dans sa forme, mais il gardera son âme, c’est une certitude.
La fête du prix Farniente en 2020 se déclinera à Bruxelles en deux jours : les 8 et 9 mai, un vendredi de rencontres scolaires et un samedi plus festif. Une nouveauté se profilera à partir de septembre 2021 : l’annonce de la sélection Lama (en gestation pour le moment), qui proposera deux sélections de cinq BD récentes pour adolescents.
Malgré la perte de vitesse de certains prix littéraires, le prix Farniente garde le vent en poupe, il bénéficie d’une bonne réputation auprès des auteurs, des prescripteurs, mais aussi et surtout des jeunes. On lui souhaite bon vent et longue vie.
Séverine Radoux
Contact :
https://www.prixfarniente.com/contact ou info@prixfarniente.be
Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 205 (2020)