Portes et livres ouverts : promenades littéraires avec Guy le guide

Guy Delhasse Alain Dantine

Guy Delahasse (au centre) avec Alain Dantinne (à droite) © Michel Torrekens

De nombreuses initiatives présentent, font vivre et découvrir l’œuvre d’auteurs belges francophones. Des opérations essentielles puisqu’elles permettent de rencontrer sous un jour nouveau notre littérature. Partons à la découverte de ces animations. Dans ce numéro, les promenades littéraires de Guy Delhasse.

Non, le livre ne s’adresse pas uniquement au cœur et à l’esprit. Tel qu’il l’approche et le fait connaître, Guy Delhasse mobilise également les jambes, que ce soit par la marche ou le vélo. Guy Delhasse est un passionné de littérature en tous genres, un dévoreur de bouquins et également l’auteur de plusieurs livres. Il en a consacré quelques-uns à sa passion pour la chanson française. Il en a rédigé sur le métier d’éducateur spécialisé, qui a mobilisé ses révoltes et enthousiasmes durant sa vie professionnelle. Il a également publié des ouvrages de fiction comme Du pont liégeois, n°130 de la mythique collection « Le Poulpe », coécrit avec Christian Libens et Jean-Paul Deleixhe, ou Hibakusha (éd. Lignes Noires). Il aime également partager avec les autres ses coups de cœur comme critique et, désormais, comme guide littéraire. « Je me suis lancé dans la rédaction de guides littéraires par passion pour les villes et pour la littérature : le premier sur la ville de Huy. Il y a huit ans, j’ai commencé mes promenades estivales avec quatre villes. J’en suis à une centaine de promenades… » Et plusieurs guides sur Huy, Liège, sa province, Spa, Verviers, Bastogne et Bruxelles à laquelle il a consacré trois promenades. Ce 5 août, était lancé à la Bibliothèque des Littératures d’Aventures (BiLA) à Beaufays (Chaudfontaine) celui consacré à l’histoire du roman policier au Pays de Liège: Les recettes du polar sauce lapin.

Dans le décor

De nombreux guides touristiques mettent en avant les lieux où vécurent les écrivains célèbres. Ils tirent profit de la notoriété d’un auteur pour attirer l’attention sur une maison, une rue, tel café où le plumitif avait ses habitudes. La démarche de Guy Delhasse a ceci d’original qu’elle s’attache davantage aux textes qu’à la biographie. Ses promenades présentent en effet une ville par le biais d’extraits d’œuvres qui y font allusion : « Marguerite Yourcenar qui décrit l’Avenue Louise me semble plus intéressante que Marguerite Yourcenar née Avenue Louise », résume-t-il pour expliquer ses choix. En plus, il nous invite à découvrir des romans par les décors qui les constituent. Une autre manière d’être au cœur de l’œuvre. De la comprendre aussi tant il est vrai qu’un décor peut être une métaphore de la psychologie d’un personnage. « Les villes me passionnent, car elles représentent pour moi les loisirs et la culture. Le noyau, c’est Liège et puis sa province. C’est ma ville et, quand on aime Liège, on aime toutes les villes », précise-t-il avec un sourire. « C’est devenu un réflexe : chaque fois que je lis un livre, je note les lieux où l’histoire se dérouleC’est ainsi que j’ai dans ma bibliothèque quarante romans qui parlent de Bruxelles ou d’un de ses quartiers. » Il vient d’ailleurs de publier Trois promenades littéraires à Bruxelles, en plongeant dans les romans de Kate Milie, Jean-Baptiste Baronian et Michel Joiret.

Un livre qui marche

S’il nous fait marcher dans Bruxelles et la plupart des villes wallonnes, Guy Delhasse propose aussi de nous balader dans les livres dont il lui plaît de lire des extraits au cours de ses échappées : « Mais je fais marcher aussi les livres, car ces promenades sont une continuation de la vie d’un texte après celle qu’il a connue en librairies ou dans la presse. Les écrivains sont heureux de pouvoir redécouvrir leurs écrits sous cet angle particulier. Cela a été le cas de Jacques Mercier qui était ravis d’entrer dans son œuvre en parcourant la ville de Tournai. » Dans la mesure du possible, Guy Delhasse invite un écrivain lors de ces excursions d’un genre particulier. Pour offrir à ses participants des rencontres originales qui permettent de comprendre comment tel ou tel lieu a trouvé place dans tel roman et de mesurer parfois la distance qui peut exister entre ce lieu et sa description, voire son utilisation. « J’aime les liens entre la fiction et le réel, mais aussi que les écrivains puissent s’expliquer à ce sujet. Pour eux, c’est une autre manière d’entrer dans leurs créations. J’essaie également de trouver un auteur local qui va nous faire ressentir un lieu à travers les habitants mais aussi à travers ses personnages. Je n’ai aucun mépris pour les initiatives locales, je défends l’existence d’un patrimoine local de l’imaginaire. À l’inverse, je ne parle pas que des écrivains belges. Je n’ai aucun a priori, ni de genres, ni de nationalités. »

Du tourisme intelligent

Si Guy Delhasse met en avant la littérature, il contribue aussi à développer une forme de tourisme dont nos régions n’ont pas encore tiré tous les bénéfices. Guy Delhasse aime prendre l’exemple de Charleville : « Il n’y a rien de particulier dans cette bourgade, mais les autorités ont mis en évidence la présence de Rimbaud. Il y a toute une littérature touristique développée en France grâce à l’ouverture de maisons littéraires, à tel point qu’il existe dans ce pays une Fédération des Maisons d’écrivains et des patrimoines littéraires . » Une idée pour la Belgique ? Sans compter que la démarche de Guy Delhasse invite à découvrir l’Histoire de nos villes par le prisme de la littérature. « La littérature investit régulièrement l’Histoire de notre pays, par exemple autour du Parc Royal. Il y a eu une vague littéraire importante autour du centenaire de la Belgique. »

Dans le cadre de l’opération « La Wallonie à vélo », Guy Delhasse, par ailleurs cycliste urbain, a également mis sur pied (!) des balades littéraires et dominicales à vélo, à Liège. L’année patrimoniale 2016 étant placée sous le thème des édifices religieux, il a entraîné son petit peloton de clocher en clocher liégeois, en partant de celui qui est devenu le plus célèbre d’entre eux : « Par le titre de son Maigret, Le pendu de Saint-Pholien, Simenon a donné une notoriété sans pareille à cet édifice et lancé le tourisme littéraire dans son quartier natal. Par l’intégration des églises, collégiales ou basiliques, d’autres écrivains comme Bernard Gheur, Irène Stecyck, Françoise Mallet-Joris…  ont participé à l’élaboration d’une véritable mémoire littéraire et patrimoniale. » Les balades sont décontractées, sans bruit, sans pollution, sans performance et avec des arrêts lecture fréquents, même celles qui nous entraînent sur les trois plateaux verts de la ville : la plaine de Cointe, le parc de Xhovémont et la Citadelle. Trois des balades publiées dans le volume Dix promenades littéraires au pays de Liège sont à vélo : Verviers, Liège et Chaudfontaine. Le cycliste urbain ne snobe pas les autres moyens de transport et il lui arrive d’embarquer les participants sur un bateau à Huy, dans le tram à Bruxelles ou des petits trains à Huy et Chaudfontaine. Toujours de la mobilité douce…

L’Estival des Parlantes

L’asbl Les Parlantes, centrée autour de la parole vivante, propose chaque année un festival de lectures portées par de grandes voix dans la Cité ardente. Et l’Estival des Parlantes, dont Guy Delhasse assume la programmation et l’animation, constitue le volet… estival des Parlantes ! « C’est surtout le premier et le seul festival de promenades littéraires en Belgique francophone, précise-t-il. Créé à Liège, il s’est exporté à Huy et à Spa, puis  à Verviers, à Chaudfontaine, à Stavelot, à Andenne, à Bastogne, à Sprimont et à Bruxelles. Namur, Tournai, Waremme, Visé… ont suivi. » Une journée complète a même été dédiée à trois écrivains liégeois : Philippe Lambert et son roman, Le collectionneur de soupirs (Weyrich), pour investiguer le quartier chaud de l’ancienne rue Varin ; Bernard Gheur, incontournable pour un parcours nostalgique et une… nocturne avec Luc Baba, dont le dernier roman, Elephant Island (Belfond), passe par le quartier des Prémontrés.

Treize villes visitées lors de cette édition 2016, dont plusieurs nouveautés : Esneux  en mémoire d’Alain Le Bussy, Seraing avec Jean-François Mortehan et Giovanni Lentini, Ottignies avec Michel Lambert et Bouillon. Cette dernière a eu lieu le 14 août et ravi son initiateur: « L’étape « Bouillon » fut l’une des plus réussies du mois d’août. J’ai rarement senti autant de liens entre des livres, des écrivains, des curieux et des lieux. Je suis parti d’un livre étonnant, Vide-grenier, de Patrick Mc Guiness, écrivain du Pays de Galles publié en français chez Grasset. Mc Guiness était justement en vacances chez lui, dans un gîte situé rue du Passage, merveilleux coin de Bouillon. Un grand écrivain anglais qui raconte son enfance à Bouillon ! Grâce à l’annonce dans la presse, j’ai également rencontré Guy Adam, un brave homme qui a ouvert un petit lieu littéraire où il a rassemblé les archives et les livres d’un poète local, Maurice Pirotte. Autre rencontre… bouillonnante ce jour-là: le coin de rue où a été assassiné le frère de Léon Degrelle, scène racontée par Patrick Roegiers dans son roman L’autre Simenon. Degrelle, c’est le clou dans la chaussure littéraire de Bouillon. Il y est né, il y a vécu enfant et les romans contemporains ne se privent pas de le laminer, avec raison. Sans oublier les textes de Marcel Leroy, de Paul Verlaine, un roman fantasy, des romans historiques. Le public présent est reparti ravi de cette escapade. Le Bouillon littéraire a fait un tabac le long de sa Semois. Je le replacerai dans le programme de l’année prochaine avec, comme guide, notre sacré sympathique Anglais de Bouillon, Mc Guiness. » Autre première : une incursion en France, dans le Vieux-Lille, avec les auteurs de la  collection « Polar en nord », des éditions Ravet-Anceau. Lille avant Paris, Rome, Kinshasa ou New York ?

Aux yeux de Guy Delhasse, une promenade littéraire offre une redéfinition de la ville, d’un quartier, par la fiction, laquelle permet de renouveler le regard touristique. Elle génère un appel à l’observation, à la lecture, à l’histoire, au questionnement sur nos identités plurielles. Aux romans encore à écrire. Et pour conclure, il a cette belle formule : « Une ville non investiguée par ses écrivains est une ville morte. »

Michel Torrekens

En pratique

guy.delhasse@skynet.be


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 192 (octobre 2016)