Portes et livres ouverts : Les Rencontres Littéraires de Bruxelles

Patrick Dupuis Daniel Simon Daniel Fano Gérard Adam

Patrick Dupuis, Daniel Simon et Daniel Fano sous l’oeil de Gérard Adam (c)Michel Torrekens

De nombreux lieux présentent, font vivre et découvrir, l’œuvre d’auteurs belges. Des lieux essentiels puisqu’ils permettent de mettre un visage sur un nom et d’entendre l’écrivain s’exprimer en direct sur son travail. Pour ce numéro, nous avons eu le plaisir d’assister à la première d’une nouvelle initiative : Les Rencontres Littéraires de Bruxelles.

Foi de globe-trotteur à qui la littérature sert de boussole, pas une semaine ne passe en Fédération Wallonie-Bruxelles sans proposer plusieurs animations littéraires. Le succès de foule n’est pas toujours au rendez-vous, nous ne sommes pas dans des stades de foot : les actus littéraires ne bénéficient plus de la couverture médiatique, tant en pages écrites qu’en radio ou sur écran, accordée aux rebondissements d’un ballon. Ceci étant écrit sans acrimonie, ni jugement de valeur, mais simplement sur la base d’un simple constat que tout un chacun peut faire. Pour autant, les passionnés de littérature ne se découragent pas et poursuivent leurs efforts pour la rendre vivante. Parmi ceux-ci, Robert Paul, fondateur du réseau Arts et Lettres ainsi que Jerry Delfosse, directeur de l’Espace Art Gallery, se sont adressés à Gérard Adam, romancier et nouvelliste belge chevronné, mais également responsable des éditions M.E.O., pour réfléchir au projet et animer les rencontres. C’est ainsi que le mardi trente mai s’est tenue la première des Rencontres Littéraires de Bruxelles, avec Patrick Dupuis, Daniel Fano et Daniel Simon comme invités. Chaque rencontre accueille en effet trois écrivains publiés par des éditeurs belges différents pour dialoguer autour d’un thème. Ensuite, quatre personnes de l’assistance qui le souhaitent disposent de quatre minutes pour lire un de leurs propres textes (avec tirage au sort s’il y a plus de quatre candidats). Et la soirée se termine autour d’un verre offert par la galerie, tandis que le public peut acquérir les livres des auteurs présents et les faire dédicacer. 

Sous les cimaises d’une galerie

Le rendez-vous est fixé à un jet de pierre de la place Flagey, à l’Espace Art Gallery. La soirée s’est déroulée au milieu des peintures colorées et oniriques de Claude Giulianelli. Une manière de rapprocher deux modes d’expression assez différents. Nous avons demandé à Gérard Adam si associer de la sorte peinture et littérature avait une signification particulière pour lui. « Monique Thomassettie, ma femme, est peintre et écrivain. Du temps où elle exposait, se souvient-il, nous avons quelquefois organisé des lectures de ses textes en même temps que ses vernissages, et même l’interprétation d’un quintette écrit sur un de ses cycles de poèmes par un compositeur de Tourinnes-la-Grosse. Les différents arts peuvent être complémentaires. Ici, toutefois, il n’y a pas de simultanéité avec un vernissage. Bien sûr, pour le galeriste, c’est l’occasion de montrer ses expositions à un autre public. Et inversement, les visiteurs de la galerie reçoivent un dépliant de la rencontre. Si les rencontres montent en puissance, nous n’excluons toutefois pas des convergences qui doivent encore être définies. » 

Une vitrine de l’édition littéraire belge

Ce cadre artistique apporte déjà une spécificité à ces rencontres mais, au-delà, pourquoi avoir créé un cycle de soirées littéraires supplémentaire face à une offre déjà importante ? « Il y a eu autrefois des rencontres littéraires à l’Espace Art Gallery, organisées par Robert Paul du temps où il n’avait pas encore fondé l’association Arts et Lettres, explique Gérard Adam. J’ai assisté à quelques-unes d’entre elles. C’était irrégulier, et elles ont assez vite cessé. Mais le projet subsistait de les reprendre un jour. Au début de cette année, Robert Paul et Jerry Delfosse, le directeur de la galerie, m’ont contacté. Leur idée était d’organiser des rencontres littéraires mensuelles autour des éditions M.E.O. Ils souhaitaient que je me charge de l’organisation, eux-mêmes répercutant les invitations sur une base de données de plus de deux mille adresses. J’ai tout de suite objecté que la base de recrutement des auteurs serait trop étroite et qu’il fallait l’élargir. Je ne souhaitais pas non plus en faire une caisse de résonance de plus pour les écrivains de notre communauté qui publient chez les majors de l’édition française, disposent d’un(e) attaché(e) de presse et sont régulièrement présentés dans les librairies. J’ai donc suggéré de faire de ces rencontres une vitrine de l’édition littéraire belge francophone (quelle que soit la nationalité des auteurs invités). Ils ont accepté d’enthousiasme. Je compte toutefois élargir à des éditeurs étrangers qui ont une collection consacrée à des écrivains belges (Zellige, L’Âge d’homme, Castor astral). » Ces soirées se déroulent chaque dernier mardi du mois, un des jours à présenter le moins de concurrence dans un agenda culturel bruxellois étoffé, avec relâche en juillet et décembre. Quant au nom, précise Gérard Adam, « j’avais proposé comme intitulé « Les mardis littéraires de l’Espace Art Gallery ». Les deux promoteurs préféraient néanmoins « Rencontres Littéraires de Bruxelles ». »

Une édition qui passe après Paris

Gérard Adam a signé son premier roman, L’arbre blanc dans la Forêt Noire, en 1989, d’emblée récompensé par le prix N.C.R. Il ne s’est pas arrêté en si bon chemin et sa bibliographie compte désormais une quinzaine de titres. Il a également fondé la maison d’édition M.E.O. (Monde Édition Ouverture), qui publie quantité d’écrivains belges mais aussi des auteurs d’autres pays, en particulier des traductions d’œuvres bosniennes et croates. Avec toutes ces activités qui mobilisent pas mal de son temps et de son énergie, on peut légitimement se demander ce qui l’a motivé à participer à la création de cette vitrine de l’édition littéraire belge, notamment en tant qu’auteur. « C’est une question qui me préoccupe depuis la parution de mon premier roman, qui ne s’est que très moyennement vendu malgré le prix N.C.R. Je me suis aperçu que les éditeurs belges n’étaient jamais présents dans les vitrines des libraires de ce qu’on appelait encore Communauté Française de Belgique, et même rarement sur leurs tables ; qu’ils passaient le plus souvent après les autres, quand ils passaient, dans les recensions de presse ; qu’ils avaient du mal à se faire accepter par un diffuseur-distributeur. Les principaux critiques ont découvert l’existence de mon livre le soir de la remise du prix et ont dû écrire leur article à partir du dossier de presse, faute d’avoir pu lire en une nuit un roman de quatre cent cinquante pages ; plus tard, alors que j’avais publié à la demande de Pierre Mertens mon carnet de bord de Casque bleu durant la guerre en Bosnie, puis des nouvelles écrites en partie là-bas, dans l’action, j’ai dû attendre plusieurs mois pour un entrefilet dans la presse belge (malgré six pages la semaine de la parution dans un important hebdomadaire suisse !), quand l’opuscule d’un Casque bleu français maniant à la perfection la langue de bois avait été largement recensé. Jacques Cels, Vincent Magos et moi-même avions organisé un groupe de réflexion sur le sujet (le Groupe Uylenspiegel) dont les conclusions ont paru dans La revue générale. Sans le moindre écho, bien sûr. Un responsable de l’Administration m’a dit entre quatre yeux : « Les romans publiés par les éditeurs belges ne peuvent être que moins bons que ceux publiés à Paris. S’ils étaient aussi bons, ils seraient publiés à Paris. » (CQFD) ».

Plusieurs années après ces expériences pénibles, il n’est guère plus optimiste sur la réception des œuvres belges éditées en Belgique auprès des circuits qui peuvent les faire connaître : « La situation, en ce qui concerne la presse et les libraires, me semble encore s’être dégradée depuis cette époque. La RTBF, notamment, n’a jamais remplacé Anne-Marie La Fère, qui faisait un travail remarquable, et a interdit à certains journalistes ou présentateurs d’aborder la littérature. Quant aux libraires, leur situation de plus en plus précaire n’incite pas nombre d’entre eux à sortir des potentiels best-sellers. Donc, tout ce qui peut être fait doit l’être afin de soutenir des éditeurs qui ne ménagent ni leur temps ni leurs efforts pour faire vivre sans moyens des livres de qualité. »

Comme il combine les deux activités, qu’est-ce que l’éditeur pourrait ajouter à l’avis de l’auteur ? Gérard Adam part d’un autre exemple : « Quand Michel Joiret a obtenu le Prix littéraire 2012 du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles avec Madame Cléo (Ed. M.E.O., 2011), ni le service de presse du Parlement, ni nous-mêmes ne sommes parvenus à obtenir que l’information soit publiée dans la presse, sans même parler d’un article critique. S’il était paru chez un major parisien, je suis sûr que tous les journaux en auraient parlé. Mais ce n’est pas neuf. Il suffit de lire ce qu’écrivait Camille Lemonnier à la fin du XIXe siècle. On peut faire un copier-coller. » 

Complicité autour d’un thème

Pour cette séance inaugurale, les trois invités avaient été conviés pour leurs pratiques du texte court : Patrick Dupuis, avec son dernier recueil de nouvelles, Enfin seuls ?, publié chez Luce Wilquin comme ses livres précédents, mais aussi pour son expérience d’éditeur de nouvelles au sein du collectif Quadrature, lequel publie quatre ouvrages par an ; Daniel Fano, pour ses deux derniers livres, l’un de micro-fictions édité chez Traverse : Privé de parking, le deuxième, De la marchandise internationale, sous l’enseigne Les carnets du dessert de Lune, que dirige Jean-Louis Massot, auquel Fano a déjà confié plusieurs de ses manuscrits ; Daniel Simon, enfin, avec deux ouvrages récents également (Dans le Parc et Quand vous serez, tous deux aux éditions M.E.O.), sans oublier que Daniel Simon est polyvalent et est ou a été à la manœuvre de plusieurs démarches éditoriales (les éditions Traverse ainsi que la collection « Je » sur le récit de vie aux éditions Couleur Livres). Autant dire que ces écrivains sont immergés de longue date dans la vie éditoriale belge et se connaissent bien. Cela est particulièrement apparu à travers leurs échanges, en particulier grâce à la gouaille et l’enthousiasme de Daniel Simon, qui a créé de nombreux ponts entre leurs différentes démarches, manifestant un intérêt bienvenu pour le travail de ses deux confrères. Mais pourquoi ce fil rouge sur le texte court, abordé sous différents aspects ? « C’est un hasard, répond Gérard Adam. Quand j’ai accepté de lancer les Rencontres Littéraires de Bruxelles, je venais de lire deux recueils de Daniel Fano, publiés par deux éditeurs avec lesquels M.E.O. est très complice, Traverse et Les Carnets du dessert de Lune. Par ailleurs, Daniel Simon a publié chez M.E.O. deux excellents recueils de textes brefs. C’est un genre difficile et mal connu. C’était une belle occasion de le mettre en lumière. C’était aussi un peu risqué de démarrer sur un thème peu populaire. Mais le risque ne m’a jamais fait peur. Nous avons complété par Patrick Dupuis, la cheville ouvrière des éditions Quadrature, qui publie lui-même des nouvelles brèves, une autre facette du texte bref. »

En juin, la soirée suivante a mis Bruxelles au centre des débats, dans le roman et la nouvelle. En quoi la capitale européenne a-t-elle retenu l’attention et l’intérêt de Gérard Adam ? « Je suis bruxellois d’adoption, sans être particulièrement amoureux de ma ville. Mais je venais de rencontrer l’éditeur de 180°, dont toute la production est axée sur le patrimoine bruxellois, et qui avait publié trois bons polars de Kate Millie sur des domaines particuliers de cette ville, son saccage architectural, l’Art Déco… J’avais au catalogue de M.E.O. les romans de Michel Joiret, qui sont des mines de renseignements sur la petite histoire de Bruxelles. Jean Jauniaux aurait dû compléter le trio, mais un empêchement de dernière minute a provoqué une permutation avec Évelyne Wilwerth, prévue pour août et dont Miteux et Magnifiques cadrait bien avec le thème tout en l’élargissant. C’était une réussite, le public s’est montré ravi, avec une assistance en nette hausse par rapport à la première séance. »

Un signe encourageant, comme un appel à découvrir les prochaines Rencontres Littéraires de Bruxelles. Celle d’août consacrée spécifiquement à la nouvelle avec Aliénor Debrocq, Jean Jauniaux et Liliane Schraûwen s’est déroulée alors que ce numéro du Carnet et les instants était au bouclage. Pour l’automne, sont prévus en septembre : « Le roman de la fracture », avec Claire Deville, Françoise Steurs et Annie Préaux ; en octobre : « L’écrivain et son double », avec Kenan Görgün, Françoise Thiry et Adolphe Nysenholc ; en novembre : « Les revues littéraires en Belgique francophone » avec Marginales (encore sous réserve), Mayak et Traversées. Le trio d’organisateurs ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et des thèmes sont déjà en discussion pour 2018, comme le road movie, l’heroic fantasy, le roman jeunesse, l’enfant, le père, la mère dans le roman, et bien d’autres…

Michel Torrekens

En pratique

Espace Art Gallery
Rue de Laeken, 83 à 1000 Bruxelles
Chaque dernier mardi du mois à 19 h (relâche en juillet et décembre)


Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 196 (octobre 2017)