Itinéraire d’un libre croyant
Gabriel RINGLET, L’évangile d’un libre penseur, Albin Michel, 2002
Gabriel RINGLET, Ma part de gravité, Albin Michel, 2002
Prêtre depuis une trentaine d’années, professeur à l’Université catholique de Louvain, journaliste, écrivain, Gabriel Ringlet en est intimement persuadé : il est temps de rapprocher les libres penseurs et les libres croyants.
Cette conviction habite son Évangile d’un libre penseur, paru en 1998 chez Albin Michel, qui le réédite aujourd’hui au format de poche. Cet appel intrépide et vibrant, sinon provocateur, au dialogue entre chrétiens et laïques a eu un grand retentissement et suscité, on s’en doute, des débats houleux. La controverse n’est pas éteinte, comme en atteste le livre récent de Robert Joly, aussi radical que son titre : Libre pensée sans évangile (éd. Labor). Loin des polémiques, le chantre de La résistance intérieure, qui fit avec talent L’éloge de la fragilité, retrace aujourd’hui son parcours, l’histoire et le sens de son engagement, et cerne la place singulière où il se tient, au carrefour de l’Écriture, de la littérature et de l’actualité.
Ma part de gravité n’est pas une autobiographie classique mais une mosaïque de souvenirs, de repères, de portraits, d’expériences et de réflexions sous lesquels se dessine la démarche spirituelle originale d’un homme d’Eglise qui a su, dès ses études au Grand Séminaire de Liège, que la foi, même dans l’enthousiasme, serait d’abord et toujours une question, et que l’Evangile, loin de combler (sa) soif, n’arrêterait plus de la creuser. Trois parties, qui sont aussi les trois voies d’une recherche ardente, exigeante : Passion ou le temps de l’olivier, Inquiétude ou le temps du figuier, Contemplation ou le temps de la vigne.
Sous le feuillage de l’olivier, on découvre le chroniqueur du quotidien socialiste La Wallonie, passionné par les enjeux de la vulgarisation. Le professeur (Enseigner, n’est-ce pas aussi enflammer ? (…) Je pense que c’est mon vrai métier : enseigner). Le théologien en communication.
À l’ombre du figuier, Gabriel Ringlet exalte sa reconnaissance à l’égard des écrivains qui l’ont éclairé, accompagné. Il dresse notamment un très vivant, émouvant portrait de Jean Sulivan. Salue avec ferveur la théologie littéraire de Jean-Pierre Jossua, ce dominicain qui a tout joué sur une certaine compréhension de l’humanité de Dieu ; la théologie poétique, portée jusqu’à son incandescence, de Jean Grosjean. Et célèbre, en la littérature, ce lieu désintéressé où se rejoignent un questionnement, une beauté, l’approfondissement d’une commune inquiétude, une aventure spirituelle, pour l’auteur mais aussi pour le lecteur qui y trouve parfois un chemin vers lui-même. Sans nous cacher que le travail de lire, comme celui d’écrire, appelle un combat dont on sort quelquefois vainqueur mais toujours blessé.
Enfin, sous l’invocation de la vigne, il nous fait vivre l’expérience, menée en équipe depuis bientôt vingt ans, des Samedis du Prieuré Sainte-Marie qui, partant de l’idée fondamentale que l’Evangile n’est pas achevé, tente d’élaborer une spiritualité de l’actualité. De rapprocher la parole de Dieu et la parole du monde…
N’allez pas croire que la gravité exclue la légèreté, la joie, l’impertinence. Gabriel Ringlet appelle de tous ses vœux la mise sur pied, d’urgence, d’une Eglise pleine d’humour. Il ne ménage ni la piété sucreuse ni les adeptes d’un Dieu mollasson (il est des bonheurs béats et bêlants qui soulèvent le cœur). Et il n’a pas fini de savourer le mot lancé avec un grand éclat de rire par Monseigneur Leclercq, déjà âgé et retiré dans son ermitage : « L’Eglise ? Vous avez peur ? Allons, voilà deux mille ans qu’elle tient le coup, malgré les curés ! »
Au reste, dès son préambule, il nous recommandait, par la voix de son cher Jean Sulivan : Lisez-moi donc avec humour. Je ne suis pas toujours de mon avis.
Francine Ghysen
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°127 (2003)