Dans le vaste champ des « livres de cinéma », la jeune maison d’édition bruxelloise Scenarii emprunte un singulier sillon. Comme son nom le laisse augurer, elle est dédiée à l’édition de scénarios de films. Mais comme son nom ne l’indique pas, ce nouvel éditeur publie – en papier et en numérique – uniquement des scénarios de films de fiction qui n’ont pas encore été réalisés. Et qui ne le seront d’ailleurs peut-être jamais.
Les textes publiés chez Scenarii se distinguent de la pratique éditoriale, en vigueur notamment dans certains magazines, qui consiste non à reproduire le scénario original, mais à transcrire les dialogues d’un film déjà sorti, tels qu’ils apparaissent dans le montage final. Il est certes d’autres éditeurs qui publient des scénarios avant la sortie d’un film, et qui prennent le risque commercial de ne pouvoir s’appuyer sur le succès en salle pour assurer la promotion du livre. On se souvient que le scénario du Mr Nobody de Jaco Van Dormael avait paru aux éditions Stock en 2006, avant même le début du tournage du film : le réalisateur invitait alors ses lecteurs à « rêver » leur film à partir de ses mots. Cependant, les scénarios que publie Scenarii ne sont pas des documents de travail destinés à des professionnels du septième art, mais se revendiquent comme des textes littéraires. Le fondateur et directeur de la maison d’édition, Alain Bertrand (homonyme sans lien de parenté avec le regretté auteur de Jardin botanique), exige d’ailleurs des scénaristes un minutieux travail de récriture afin, dit-il, de « faire arriver vers la littérature des textes qui n’étaient au départ pas conçus pour être littéraires » – un processus pour lequel l’éditeur accompagne ses auteurs pas à pas.
Les livres publiés chez Scenarii sont des œuvres hybrides, qui conservent du scénario la forme dialoguée et les descriptions de décor, mais empruntent à la littérature une écriture exigeante et destinée au plaisir de la lecture. Les scénarios s’offrent ainsi, comme le revendique l’éditeur, une « première vie » auprès de leurs lecteurs, indépendante du film qui pourra ensuite, éventuellement, en découler.
Les destins opposés des deux premiers ouvrages du catalogue sont révélateurs à cet égard. Scenarii a ainsi accueilli Djem, un scénario retravaillé du scénariste et réalisateur belge d’origine turque Mustafa Balci. Djem sera bientôt aussi un film : Balci a trouvé un financement et le tournage est sur le point de commencer. Par contre, la production de Maria, la Malibran, du Chilien Christian Alvarez, requerrait, comme tous les films en costumes, un budget très important, que le scénariste et réalisateur sud-américain n’a pu réunir. Sauf revirement inattendu, son scénario ne connaîtra donc d’autre vie que celle que les lecteurs de l’ouvrage publié chez Scenarii lui prêteront. À moins bien sûr que ce livre donne des idées à quelque producteur. La littérature a si souvent inspiré le cinéma.
Nausicaa Dewez
Christian ALVAREZ, Maria, la Malibran, Scenarii, 2014, 176 p., 12 €.
Mustafa BALCI, Djem, Scenarii, 2014, 112 p., 12 €.
Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 185 (2015)