Servir glacé
Jacques STERNBERG, Contes glacés, Mijade, 2009
Enfin, il est reparu. Rarement livre aura été aussi attendu. Dame !, la première et unique édition date de 1974. Donc voici l’occasion de redécouvrir dans son intégralité (une édition partielle avait été proposée il y a dix ans) les superbes Contes glacés de Jacques Sternberg. Plus de 250 contes, certains ultra brefs, mais à l’effet très efficace, ressortissant tantôt plutôt au fantastique, tantôt à la science-fiction, et les mêlant joyeusement.
Pourtant, ce n’est pas le fantôme même dégoulinant de sang ou l’être venu d’ailleurs qui est horrible ; l’abominable, là où l’homme se perd complètement, c’est le « métro-boulot-dodo », cette expression qui résume à ses yeux la « culture » occidentale. Sternberg est profondément malade de la civilisation, ne pouvant accepter l’absurdité de la vie sociale et économique contemporaine. Plusieurs contes l’illustrent cyniquement. De là, lui est venu le sentiment de l’absurde de l’existence même, le doute s’installant aussi sur la réalité de ce qu’on perçoit. Eh oui, pourquoi un robinet ne pourrait-il pas se mettre à râler et à cracher du sang ? La logique du quotidien vacille, ce qui était assuré est remplacé par le plus improbable.
Mais surtout, ces contes sont habités par un humour spécialement noir. À lire ces contes, on rit, mais on rit jaune, ce qui est quand même le comble de l’humour noir.
Joseph Duhamel
Article paru dans Le Carnet et les Instants n° 160 (2010)