Nicole Verschoore, Ainsi donc, une fois encore

Nicole Verschoore, ses éclairages, ses phrases innocemment assassines

Nicole VERSCHOORE, Ainsi donc, une fois encore, Le cri, 2013 ; Les inassouvis, Le cri, 2013

verschoore ainsi donc une fois encoreLe huitième et le neuvième livre de Nicole Verschoore, Ainsi donc, une fois encore et Les Inassouvis, sont deux romans d’amour fort différents l’un de l’autre, mis à part qu’on les lit sans pouvoir en interrompre la lecture. On les relira grâce à l’alacrité du style, la technique de l’écrit intimiste, la langue subtile et imagée. On s’arrêtera aux détails de la passion irrésistible, contrecarrée, survivante sans doute. Les amoureux des deux romans et le milieu de leur rencontre ne se ressemblent pas, Berlin, Cologne et Bruxelles déterminent un climat en soi déjà assez particulier, l’agitation du travail rythme les rencontres. Les deux hommes et la protagoniste féminine sont des caractères bien définis. Leur portrait est pris sur le vif en pleine activité quotidienne – travail, voyage, intérêt intellectuel, rêve et attente, le tout sur la toile de fond de l’état du monde et des liens qui parfois vous retiennent loin du désir amoureux.
À notre époque, être encore capable de parler de sensualité, de passion, d’amour nuancé, de tendresse, de désir et d’attente, peut être considéré comme un cadeau plutôt rare. Rare aussi, chez Nicole Verschoore, dans la psychologie des personnages, dans leur comportement et leurs réflexions, quelque chose qui frappe par sa justesse, détails bien observés, timidement ou violemment ressentis, mais d’habitude inexprimés.

Bien que dans les deux romans l’avion fasse discrètement partie du décor, Bruxelles est omniprésente, comme autant de points de repères qui situent les épisodes du développement. Si dans Ainsi donc, une fois encore, l’action se passe d’abord à Berlin, l’héroïne travaille à Bruxelles. Les Inassouvis, eux, évoluent dans Bruxelles, à deux pas de la place de Brouckère, au Berlaimont, à Schuman et dans les bureaux d’un grand quotidien. Ils s’attablent aux terrasses de l’avenue Louise et discutent en déjeunant dans divers quartiers. Le héros masculin est un curieux personnage, chef dictatorial pourtant fort apprécié par une petite minorité d’assistants et totalement différent dans l’intimité. La jeune femme qu’il invite n’a d’héroïque que sa curiosité et son appétit de vivre.

Le caractère profondément réaliste de l’histoire et de l’émotivité des protagonistes projette un vécu très actuel, pourtant éloigné des modes et des chemins battus. Quant à l’atmosphère, déjà Le Maître du bourg, premier roman de Nicole Verschoore, fut choisi pour « Bruxelles 2000 » par les lycéens comme « lecture préférée de l’année ». La Ville de Bruxelles en commanda 600 exemplaires chez Gallimard. Ils ne sont jamais arrivés.

Le roman d’amour, Ainsi donc, une fois encore…, parti de Berlin, Bruxelles ou Cologne, survole l’Atlantique jusqu’à Montevideo. Il s’agit de la rencontre de deux destinées, deux personnages éloignés l’un de l’autre, mais liés par une similitude fondamentale de goûts, d’intérêt et de projets. Le récit, gonflé d’actualité, révèle la force de l’attirance intellectuelle et physique, le mystère de certains comportements, les drames qu’on cache, la solitude et l’espoir, enfin, l’amour et l’absolu besoin de se revoir. Grâce au silence de la détresse mais aussi du rire, on découvre ici l’efficacité libératrice de l’espoir. L’efficacité de l’attente ? …

L’auteur est une amoureuse passionnée, bien que, par son métier de journaliste dans un grand quotidien et ensuite de directeur d’édition du dernier hebdomadaire francophone de Flandre, elle connaisse pas mal d’hommes sous divers ciels, en Europe et ailleurs. Dans Les Inassouvis, c’est l’inexprimé de la sensibilité actuelle, dans Ainsi donc, une fois encore, c’est l’écho du passé – aussi discret qu’il soit – qui d’abord attirent, puis sépareront les amants. La fiction permet de nous plonger affectivement dans ces éclairages rares.

Michel Otten


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°176 (2013)