La critique engagée
Myriam WATTHEE-DELMOTTE, Parcours d’Henry Bauchau, L’Harmattan, 2001
Myriam WATTHEE-DELMOTTE, Bauchau avant Bauchau, en amont de l’œuvre littéraire, Bruylant-Academia, 2002
II y a des travaux critiques qui se focalisent sur les détails d’une œuvre, qui n’intéressent que les spécialistes d’un(e) écrivain(e), d’un courant littéraire, d’autres qui embrassent une œuvre entière, repèrent ses mouvements internes, ses figures fondatrices, ses motifs récurrents, qui, en résumé, ouvrent des perspectives de lecture pour tout amateur d’un auteur. C’est dans cette catégorie que l’on peut situer les études effectuées par Myriam Watthee-Delmotte pour différents ouvrages collectifs et compilées (revues et actualisées) dans son livre Parcours d’Henry Bauchau. L’ensemble redessine le cheminement littéraire de l’écrivain depuis ses premiers poèmes (une approche de ses écrits théoriques des années 30 a été faite par Yun Sun Limet dans un article repris dans Bauchau avant Bauchau dont il sera question ci-après) jusqu’à Antigone, prix Rossel 1997. Cheminement qui a entraîné Bauchau « des temps sombres à un âge radieux », et a fait de lui un « homme apaisé ». Il ne faut pas croire que Myriam Watthee-Delmotte, chercheuse qualifiée du FNRS veuille à tout prix mêler la vie de Bauchau à son œuvre. Elle n’en retient que les événements qui ont donné lieu à « une régénérescence par l’art » (les rapports filiaux durant l’enfance, les relations tumultueuses à la Belgique durant la seconde guerre mondiale, les différents sentiments d’échec, les exils…) et l’imbrication de ses démarches psychanalytiques et littéraires (ce chapitre offre de très belles pages sur la spécificité de chaque discipline et évite le cliché de l’écriture comme processus thérapeutique).
Pour le reste, elle explore l’imaginaire spatial qui trouve ses marques à travers l’exil tant géographique qu’intérieur des personnages, étudie les figures mythiques (Orphée, Œdipe, Antigone) ou chrétienne (l’Ange) et leur trajet dans les différents textes, les représentations du féminin (la femme porteuse d’un bonheur difficilement accessible à l’homme).
Le travail de Myriam Watthee-Delmotte ne s’arrête pas à l’analyse, fine, intelligente de l’œuvre d’Henry Bauchau. Il va bien au-delà : il est un véritable engagement pour défendre l’auteur contre les accusations de collaboration pendant la seconde guerre mondiale. C’est à ce sujet polémique qu’est, en grande partie, consacré le recueil Bauchau avant Bauchau, en amont de l’œuvre littéraire. Pour ceux qui ne s’en souviendraient pas, Henry Bauchau fut responsable du « Service Volontaire du Travail pour la Wallonie » créé en 1940 et ami de Raymond De Becker, collaborateur notoire. Nous n’allons pas reprendre ici les différents arguments de Myriam Watthee-Delmotte mais seulement préciser sa méthode de travail. Dans un premier article, elle pose les éléments reprochés à Bauchau, notamment le non-dit sur ses années de guerre. Elle montre que ses actions étaient avant tout motivées par l’humiliation de la capitulation belge et le désir de préserver la jeunesse du travail en Allemagne. Dans d’autres chapitres, elle interroge Bauchau lui-même, puis certains de ses proches impliqués, de près ou de loin, à ce Service Volontaire. Par ces entretiens, elle cherche à cerner le sens et la valeur des faits à l’époque où ils ont eu lieu et se retient de les juger avec l’idéologie actuelle. Il est évident que ces temps troublés ont écorché Bauchau profondément et que ses écrits en portent les traces. « Toute l’œuvre d’Henry Bauchau, à n’en pas douter, ressasse une même question obsédante, relayé par chacun de ses héros : comment vivre encore lorsque ce qui faisait votre vie s’effondre, lorsque votre idéal est ramené à un leurre, lorsque ce que vous croyiez être votre identité paraît subitement s’effriter ? » Précisons pour terminer que ces études sont complétées par des articles de Yun Sun Limet, Géraldine Henry et Cécile Vanderpelen, des documents d’archives, épistolaires et photographiques, par une bibliographie des premiers écrits de Bauchau qui, ajoutée à celle du volume Parcours d’Henry Bauchau, offre un panorama exhaustif de cette œuvre et des écrits qui lui sont consacrés.
Michel Zumkir
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°122 (2002)