François Weerts, Les sirènes d’Alexandrie

Micmac chez les putes

François WEERTS, Les sirènes d’Alexandrie, Actes Sud, 2008

weerts les sirenes d alexandrieBruxelles, quartier de la Gare du Nord, 1984.

Hériter d’un hôtel de passe à 24 ans : une aubaine ! Mais lorsque des événements étranges et violents s’enchaînent dans le sillage de l’hôtel, L’Alexandrie, Antoine, l’héritier, cherche à comprendre. Pigiste à la rubrique ‘faits divers’ d’un journal populaire bruxellois, il se retrouve plongé malgré lui au cœur d’une histoire digne de figurer dans sa feuille de chou. Secrets de famille, skinheads, vengeance, meurtres. Antoine va de surprises en interrogations. Les réponses qu’il glanera le mèneront loin, à la rencontre de feu son mystérieux grand-père et, surtout, au plus profond de lui-même.

Roman noir, polar. Oui, mais avec Les sirènes d’Alexandrie, François Weerts offre aussi et surtout une réflexion sociale, politique et historique. Tout en subtilité, l’auteur tire les fils d’une intrigue forte et complexe. Si on frôle parfois l’excès, l’abondance des descriptions ne déforce pas le propos et se fond même à l’effervescence de l’univers décrit.

Riche en rebondissements, le livre met en lumière les heures moins glorieuses d’une certaine Belgique et aborde des sujets sensibles. Quelle est la valeur d’une ‘fille de joie’ ? Sommes-nous réellement à même de distinguer le bien du mal ? Peut-on juger ? Peut-on changer ?

Ce livre parle du monde, des rapports qu’on tisse ou qu’on défait. On rêve de rencontrer des amis tels que Martial, le flic intègre ou Bogda, l’historien un peu ours.

Les conseils de la truculente Gudule, patronne de L’Alexandrie, valent leur pesant d’or : « …tu pourras profiter de l’oseille de ton papy tranquillement, sans le remords d’arrondir ton capital avec du pain de fesse. » Même Monaco, proxénète et roi du quartier Nord est touchant quand il offre sa protection à Antoine : « Maurits vous aimait…Je le sais…Alors…La famille de mes amis… » Et puis, il y a l’amour …l’amour de Sonia, peut-être.

Future mégapole, hérissée de tours et peuplée de cols blancs, Bruxelles, personnage à part entière, a entamé sa lente mutation. Et la société évolue.  Les collabos d’hier ont vieilli. Les vieux fachos ont fait des émules. Idées extrêmes et nationalisme séduisent toujours, au nord comme au sud du pays. Le quartier Nord a été partiellement rasé. Un mini Manhattan a poussé à gauche des rails du train. A droite, on continue à chercher et donner du plaisir.

C’était mieux avant ? Pas sûr. Chronique douce-amère d’une époque sans doute plus authentique qu’aujourd’hui, Les Sirènes d’Alexandrie fait le bilan de cette évolution :

 …l’hypocrisie ne régnait pas dans le quartier. Il reflétait une certaine vérité….Cela faisait mal souvent. On pouvait contempler l’être humain dans toute sa nudité…et si ce spectacle n’avait rien d’affriolant, il permettait au moins de ne pas oublier qui nous sommes, ce que nous sommes. 

Belle surprise que ce captivant premier roman de François Weerts. À dévorer sans modération, pour les fins gourmets de littérature, amateur de polar ou pas. Dans la collection Actes Noirs des Éditions Actes Sud, où il voisine avec Stieg Larsson et autres auteurs venus du Nord, Weerts, qui vit à Warterloo et est journaliste, représente la Belgique avec panache.

Sonia Genevrois


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°156 (2008)