Pourquoi diable – si l’on peut dire dans ce cas – s’attarder à cette association qui perpétue la mémoire d’un écrivain que certains estiment complètement dépassé ? Peut-être est-il plus actuel qu’on ne le pense. En effet, depuis une vingtaine d’années, les études rayennes ne cessent d’évoluer, démontrant l’actualité des questions que pose la lecture de l’écrivain gantois.
Dans un premier temps, des essayistes ont montré que derrière le fantastiqueur se cache un authentique écrivain ; bien sûr, tous les textes du polygraphe gantois ne témoignent pas de la même qualité, Jean Ray ayant beaucoup écrit pour faire bouillir la marmite. Ses textes majeurs sont cependant étudiés selon les méthodes d’analyse les plus poussées, qui permettent d’en révéler toute la complexité. Dans un deuxième temps, c’est l’approche littéraire ‘sociologique’ (dans la perspective de la théorie du champ littéraire) qui a fait ses choux gras de l’étude du milieu dans lequel s’est élaborée l’œuvre de Jean Ray. Cet intérêt s’explique d’abord par le fait que Ray est au carrefour de plusieurs genres, mais encore parce qu’il ressortit à la fois à la littérature générale et à la littérature populaire, sphères aux enjeux et fonctionnements différents. Poursuivant dans cette voie, certains comme Eric Lysøe (Université à Clermont-Ferrand) ou Arnaud Huftier (Université de Valenciennes) ont ensuite réévalué la part du fantastique en Belgique. Pour faire bref (et imprécis), le développement du fantastique en Belgique apparaît comme le résultat d’une situation qui a également réglé le développement d’autres aspects, spécifiques à la Belgique : étudier les conditions d’émergence du fantastique permet donc de mieux saisir les caractéristiques de la littérature qui se fait en Belgique, que celle-ci se revendique ou non d’une spécificité. En caricaturant, même sans le vouloir, on est toujours un peu belge. Un récent débat au Centre Wallonie Bruxelles de Paris, entre Jean-Baptiste Baronian, Eric Lysøe et Benoît Peeters le montrait bien.
C’est dans ce contexte de réflexion que l’Amicale Jean Ray entreprend de mettre à disposition des lecteurs ce qui constitue le terreau sur lequel s’est bâtie l’œuvre de Jean Ray, qui souvent n’était jamais paru en volume. Ainsi, Ray a-t-il fondé à Gand une revue, L’Ami du livre, dans laquelle il a testé ce qui constituera son premier recueil Les contes du whisky. Mais aussi, les recensions qu’il fait permettent de voir ses goûts de lecture, ainsi que les amitiés littéraires qu’il cultive dans le but de favoriser la réception de son prochain recueil. Par ailleurs, l’on a vu récemment plusieurs rééditions des Harry Dickson, dont le succès témoigne de l’intérêt que la série rencontre encore. De son côté, l’Amicale en a entrepris un réédition critique, isolant les fascicules de la main de Jean Ray, attirant, de volume en volume, l’attention sur divers aspects intéressants de la série ; cette réédition présente en outre l’intérêt d’être publiée en fac-similé à un prix abordable.
L’association a réalisé également la bibliographie complète des écrits de Raymond De Kremer sous les pseudonymes de Ray, de Flanders et de quantité d’autres. Parmi les nombreuses rééditions, l’ensemble des textes parus dans Le Journal de Gand ; un roman inédit, en version originale néerlandaise accompagnée de la traduction française, La malédiction des vieilles demeures ; les Vlaamsche Filmkens, avec traduction française ; Geierstein, un récit oublié mais pourtant essentiel ; l’édition originale en fac-similé des Contes golfiques ; l’intégrale des contes parus dans Tintin et Kuifje ; les Contes du Tournaisis ; etc.
Mais en dehors de ces sérieuses publications, les membres de l’Amicale peuvent se plonger dans une ambiance festive digne des cuisines de Malpertuis lors de la réunion mensuelle (le premier samedi du mois) au restaurant « Du progrès », Korenmarkt 10 à Gand.
Joseph Duhamel
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°155 (2009)