Balthazar et Vinche, au fil du temps, au fil de l’eau
André BALTHAZAR, Le temps éparpillé, images de Lionel VINCHE, Le Daily-Bul, 2013
André Balthazar a toujours aimé aller puiser dans l’écriture une eau-de-vie qui se distille à petites gouttes, brefs paragraphes aux chutes abruptes, sentences inflexibles justifiées en quelques lignes, aphorismes définitifs scellant le sort du peu et du ténu. Les mots, chez Balthazar, tantôt remontent à la source mélancolique de l’enfance, tantôt s’évadent dans les zones inondables de la mémoire, quand ils ne prennent pas, de façon très ordonnée et logique, des chemins de traverse. L’existence humaine s’y profile alors en miroir, au creux de grandes et petites flaques – de grandes et petites claques.
Avec des images de son complice Lionel Vinche, fils de batelier et peintre de l’A vau-l’eau – pour reprendre le titre d’une récente exposition de celui-ci au Centre Daily-Bul de La Louvière –, Balthazar dresse dans Le temps éparpillé une série de stèles minuscules aux effets volontairement déconcertants. Ce sont de courtes saynètes à propos de vies quotidiennes qui n’en finissent pas de s’écouler : elle et lui, lui et elle, fixent du regard le sablier, et jaugent au lent décompte des grains ce qui les a rapprochés, et ce qui par moments les éloigne désormais. Les saynètes pourraient se transformer en scènes dramatiques, mais toujours la plume-ballon de l’écrivain saisit les mots juste à temps, pour les empêcher d’atteindre l’échéance fatale : « Une fois de plus, ils s’étaient éloignés et avaient rejoint à pas feutrés le silence qu’ils avaient adopté, il y a belle lurette, comme on adopte un jeune chien au poil frisé. » Pas de mélancolie ici, mais une sorte de résignation nécessaire, que même de modestes désagréments domestiques survenant au hasard des jours, ont bien du mal à transformer en éclats de rage contenue, éclats infimes et tout aussi modestes, évidemment.
Alain Delaunois
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°177 (2013)