Les miroirs de Baronian
Jean-Baptiste BARONIAN, Dans les miroirs de Rosalie, de Fallois / L’âge d’homme, 2011
Dès le début, le ver est dans le fruit, mais personne n’en sait rien. Première astuce de l’auteur, Jean-Baptiste Baronian. Les faits d’abord. Le commissaire Bergman mène sa dernière enquête, à sa manière peu orthodoxe, approximative et erratique. Son carnet en moleskine lui sert de mémoire vive et la Laguna de service que conduit Berbeyrac, son jeune adjoint, n’est même pas équipée du système GPS… C’est vous dire qu’il s’agit d’un flic à l’ancienne ! Avec une gueule et une humanité bougonne à la Lino Ventura, Bergman prône pour méthode l’improvisation. Sa femme a des migraines et enseigne le violon ; il pense beaucoup à elle.
Sous le soleil de Provence se mène une enquête paresseuse, au fil des rencontres et au hasard des intuitions. On y déguste du pain bougnat, on y boit du vin du terroir. On y tâtonne à la Maigret, avec des lenteurs presque rondes, loin du Code de la police.
Rosalie, la secrétaire de mairie, une jeune femme sans histoire(s), du moins en apparence, est retrouvée assassinée devant son bungalow. Dans son bureau, quelques photos sont épinglées, dont l’une la représentant au milieu d’un groupe d’hommes et de femmes. Cette photo-là servira de fil conducteur à Bergman et le lancera sur la piste d’un tueur en série.
Baronian promène ses miroirs, davantage à l’instar de Simenon que de Stendhal, et ils reflètent notre époque comme elle va. On y croise bon nombre des suspects, un garagiste véreux, des braqueurs affublés des masques de Chirac, Mitterrand et Sarkozy, des couples échangistes, un brocanteur salace et un facteur surnommé Cheval qui crée la polémique par ses statues gigantesques et hideuses. Le commissaire Bergman, désabusé, piétine… et voici que, comble de malchance, sa femme disparaît mystérieusement !
Il y a encore, dans ce court roman, la silhouette d’un démiurge, la présence d’un auteur de romans policiers dont le héros ressemble à s’y méprendre au commissaire Bergman et dont tous les livres figuraient dans la bibliothèque de la victime… Et si quelqu’un, en coulisses, pipait les dés ? Et si entre l’auteur, l’enquêteur et le lecteur, il y avait, tapi dans l’ombre, un acteur invisible dont les enjeux seraient tout différents ?
Il n’est pas rare qu’un spécialiste du roman policier mouille sa chemise pour écrire un roman du genre. L’exception est qu’il s’avère capable de relever le défi d’un récit efficace au rythme et à l’intrigue dignes des maîtres. Après son Bureau des risques et périls qui parodiait le genre avec un brio encyclopédique, Baronian donne ici à lire un vrai polar imprévisible et divertissant.
Mais il n’est pas que cela : c’est aussi une mise en abîme, une réflexion quasi métaphysique, une interrogation sur le pardon. Et le fascinant portrait d’un homme au bout du rouleau, au bout de toutes ses illusions. Un tour de force et une belle réussite !
Karel Logist
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°167 (2011)