Jean-Baptiste Baronian, L’enfer d’une saison

Une pêche miraculeuse

Jean-Baptiste BARONIAN, L’enfer d’une saison, de Fallois / L’âge d’homme, 2013 

baronian l'enfer d'une saisonConçu au départ d’une nouvelle éponyme parue en 2003 dans son recueil « Miroirs obscurs », L’enfer d’une saison, roman de Jean-Baptiste Baronian, amplifie et enrichit la balade bruxelloise – et conjointe à un siècle près –  d’Arthur Rimbaud, toujours génial et sale gamin, et du narrateur aussi bibliophile, guetteur de magies et promeneur impénitent que l’auteur lui-même. Le récit alterne ainsi les journées vécues par Rimbaud, les 18, 19 et 23 juillet 1873 et la flânerie de ce professeur de lettres au centre de la capitale durant la journée du 23 octobre 1973. Journée aussi chaude d’ailleurs que celles de cette mi-juillet 1873 où le roman prend son envol. On voit sortir de l’hôpital Saint-Jean, désargenté et dépenaillé, le jeune Rimbaud blessé au poignet par le coup de feu de Verlaine. Il compte être hébergé, rue Fossé aux Loups, par un ami de son ancien professeur chez qui il a déjà logé naguère. En l’absence de ce Paul Durand, c’est son frère Athanase qui l’accueille et fera office de cicérone. Il lui payera aussi tailleurs et restaurants, séduit à la fois par le poète et par le bel éphèbe qui d’ailleurs repoussera ses avances sans ménagements. Leurs pas les portent sur les traces de Baudelaire, très admiré par Rimbaud et avec qui Durand dit avoir déjeuné à la célèbre et très bourgeoise Taverne du Globe. C’est là, au coin de la Place Royale, qu’après un passage par l’Hôtel du Grand Miroir, ils mangent à la table même où ce repas se serait déroulé et dont Durand possède encore l’addition circonstanciée – conclue sur des cognacs et un pommard vieux – affichant un total de 8,95. (En réalité, la note reprise par Baronian est celle du repas que Baudelaire partagea à cette table avec le jeune Charral, émissaire de Nadar venu à Bruxelles à l’initiative d’Anspach pour présenter avec son ballon « Géant » une performance aéronautique pas trop réussie). Au cours de ces deux jours de juillet, Rimbaud loge au Grand Miroir, retire sa plainte contre Verlaine, rencontre l’éditeur Jacques Poot qui accepte de publier Une saison en enfer. Il poursuit dans Bruxelles sa balade toujours émaillée d’extraits signifiants de ses poèmes, fait des rencontres pittoresques, s’attable au café Fabronius et loge rue des Bouchers, chez les Pincemaille, amis des arts, où son voisin de chambre, l’artiste Jef Rosman, le peint couché dans son lit, portrait devenu célèbre sous le titre « Arthur Rimbaud blessé ». Tableau que le poète voudra acquérir lors de son retour à Bruxelles trois mois plus tard alors que, toujours impécunieux, il reçoit des mains de Poot les premiers exemplaires de sa Saison.

Poot, ou plutôt la bouquinerie de la rue aux Choux qui, comme sa sévère patronne, perpétuait le nom de l’ancêtre, sera aussi, en 1973, le lieu d’une épiphanie grandiose. Mais avant cela, Baronian, nattant au fil des pages la balade de son professeur avec le séjour bruxellois de Rimbaud, déchaîne allègrement ses propres beaux démons. Et notamment son amour et sa connaissance intime de Bruxelles, de son passé, de ses rues, de ses monuments, des hauts lieux de son histoire littéraire et autre, de ses mystères (dont il peut s’avérer d’ailleurs le rusé pourvoyeur), de ses boutiques, de ses bistrots mythiques et bien entendu de l’eldorado de ses librairies et bouquineries. Sans oublier les maisons de bouche et les morceaux d’anthologie gastronomique que cette fine gueule prend toujours plaisir à évoquer au passage. Comme, par exemple, le fameux banquet des Misérables, le dîner du « Chien marin » inspiré par les recettes du fabuleux Grand Dictionnaire de cuisine d’Alexandre Dumas ou encore la recette plus familiale du gâteau de foie de porc. Le tout assorti des breuvages idoines dûment millésimés ou d’une de ces bières belges dont l’auteur fournit ici un catalogue minutieux. Et enfin le miracle survient, qui commence par une déconvenue du promeneur : la boutique Poot a été mise en location. La porte est ouverte. Il pénètre dans les locaux vides. Vides à l’exception de deux vieilles caisses sans doute oubliées. Et puis, l’illumination : elles contiennent une foison d’éditions originales rarissimes, dont Les Chants de Maldoror et surtout une quarantaine d’exemplaires d’Une saison en enfer. Un trésor inestimable portant le bibliophile au comble de la béatitude. Mais on apprendra aussi pourquoi ni lui, ni l’auteur, ni la postérité ne profiteront de cette pêche miraculeuse. Et, bien entendu « fantastique ».

Ghislain Cotton


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°176 (2013)