Jean-Baptiste Baronian, Le bureau des risques et périls

À vos risques et périls

Jean-Baptiste BARONIAN, Le bureau des risques et périls, de Fallois / L’Âge d’homme, 2009

baronian le bureau des risques et perilsSaviez-vous qu’au Ministère de l’Intérieur existe un Bureau des Risques et Périls ? Des fonctionnaires y sont chargés de lire tous les romans policiers qui paraissent, autant en français qu’en néerlandais, allemand ou anglais. Ils les notent d’un point de vue littéraire mais aussi d’un point de vue criminel, afin de repérer toutes les idées de crime possibles, y compris les plus tordues, car « plus une idée est tordue, plus elle a des chances d’inspirer les tordus ». La littérature peut être ainsi un moyen de prévention. Ce qui fait cependant aussi de ces fonctionnaires, braves gens, grands amateurs de littérature, des spécialistes en puissance du crime sous toutes ses formes. Et les circonstances de la vie peuvent amener le plus paisible des citoyens à manigancer une conspiration criminelle, a fortiori si trois fonctionnaires spécialisés ont intérêt à réunir leurs capacités et leur imagination. Et si leur objectif à chacun est différent de celui des deux autres, qu’à cela ne tienne, en se débrouillant bien, la victime de l’un peut servir à accuser la cible de l’autre.

Et donc le lecteur est embarqué dans un scénario complexe, justement nommé « puzzle policier et vaudevillesque de 42 pièces ». Baronian y fait montre de son art de raconteur d’histoires ; l’intrigue est bien sûr très peu réaliste, bien que… (Que disait-on à propos des plus tordus ?) La mécanique est bien huilée, tout s’enchaîne, y compris les retournements de situations. On s’en doute, le livre a un aspect ludique – il s’agit vraiment d’un puzzle où chaque pièce ne tient et ne prend son sens qu’attachée aux autres morceaux – et même parodique. On sait Jean-Baptiste Baronian grand spécialiste du polar (non, il ne travaille pas dans le même service que ses personnages), et connaisseur de ses règles. Et donc, il s’amuse et nous amuse en se livrant à un exercice de virtuosité. Entre autres, en jouant d’un principe essentiel du genre : l’auteur dit tout, dès le début, mais en le rendant banal, ce qui est la meilleure manière de bien dissimuler (Dissimuler en rendant évident : cela ne rappelle-t-il pas l’argument d’un des textes fondateurs du récit policier, La lettre volée ?) Et donc, à la relecture, on se rend compte que la petite phrase anodine de la page 10, désignait en fait déjà ce que l’on ne comprendra que bien plus tard.

La parodie est un miroir déformant, dit-on. Si peu, si peu !! Dans certaines péripéties et enchaînements, l’histoire est sans doute invraisemblable ; mais dans les motivations et attitudes des personnages, leur jeu et double jeu, elle ne l’est tout compte fait pas tant que ça. L’égoïsme et le cynisme triomphent, même entre vieux amis, même – et surtout – entre amants. Car il s’agit aussi d’un vaudeville, avec ses ménages à trois, et donc ses maris et amants, épouses et maîtresses, autant de personnes qu’il peut être nécessaire de faire disparaître. Avec le sentiment que l’on est par tous et partout trompé.

La liberté de ton, avec le tiraillement entre propos ‘réaliste’ et litote propre au vaudeville, accentue la drôlerie des situations. Ainsi que quelques formules parfois burlesques : peut-on, par le moyen d’un cadavre, recoller les morceaux à l’égard de quelqu’un avec qui on avait coupé les ponts ? Il fallait l’oser, celle-là !

À sa façon le livre est aussi une histoire littéraire, l’auteur ne se privant pas de multiplier les références et les clins d’œil à la longue saga du roman policier, citant quantité d’auteurs et de livres, établissant ainsi de facto une liste de lectures possibles. (Non, Arnaldur Indridason n’est pas un personnage imaginaire, mais un passionnant écrivain islandais. On vous le recommande.)  Ainsi, le roman rappelle l’intéressant essai de Baronian, Une bibliothèque excentrique paru en 2004, où il faisait découvrir ou redécouvrir une trentaine de livres « curieux, inconnus, méconnus ou mal connus ». Ici, du polar le plus accompli à celui original mais imparfait, on découvre des trésors, avec comme guides les charmants et si distingués fonctionnaires du Bureau des Risques et Périls. Quelle belle image de la littérature !

Joseph Duhamel


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°160 (2010)