Laurent Béghin, Robert Vivier ou la religion de la vie

La Vita nuova : pour Robert Vivier

Laurent BÉGHIN, Robert Vivier ou la religion de la vie, Bruxelles, Le Cri / Académie royale de langue et de littérature françaises, 2013

beghin robert vivier ou la religion de la vieRestaurer la mémoire littéraire, c’est à quoi s’attache Laurent Béghin, dans une biographie fouillée qui rend à Robert Vivier une position que les historiographes des lettres belges de ces dernières décennies avaient peut-être négligée. L’auteur attribue ce relatif retrait de la critique à plusieurs causes. Plus réaliste et quotidien dans ses textes en prose que dans sa poésie, un moment tournée vers le surréalisme, mais qui n’avait jamais vraiment rompu avec un certain classicisme formel, Vivier fut surtout un homme discret. Toujours en quête d’une reconnaissance, notamment française, parisienne, il participa peu ou pas du tout à des mouvements, à des modes, à des manifestations ou déclarations collectives. à l’exception du Groupe du Lundi, dont il aurait rédigé le manifeste sur une table de café à la Porte de Namur à Bruxelles. Un projet cohérent avec son souhait d’appartenir aux lettres françaises. Il reviendra avec humour sur ce radicalisme des années trente, lors de ses cours en Sorbonne, à la fin de sa carrière académique.

Homme de science tout de même, il était aussi professeur d’université, ce que certains jugent suspect pour un poète. Or ses ouvrages critiques principaux ont la poésie pour objet, de Turold à Mallarmé et Supervielle, sans oublier son œuvre première et majeure, L’originalité de Baudelaire. Ses cours, même les plus généraux, tel le cours de Littérature comparée qui s’adressait à un auditoire nombreux, il les faisait en poète. Soit qu’il se tienne à une certaine distance, même des informations les plus précises, qu’il distribuait calmement. Ainsi il s’adressait davantage aux chevelures des têtes du dernier rang ou, avec un sourire malicieux, au jour qui tombait des grandes fenêtres à sa droite, plutôt qu’aux étudiants qui devant lui recueillaient béats chacun de ses mots. Soit, dans le contexte plus intimiste de la romane, où nous étions encaqués dans des bancs étroits, il nous faisait la grâce de penser tout haut ou rêver à part soi, malgré notre présence, générant ainsi une ambiance de totale fascination. La communication passait pourtant, à travers les mots, les inflexions de sa voix, son attitude même, parfois abandonnée ou mimant, par exemple, la nage du centaure, quand il expliquait le texte de Maurice de Guérin dont nous n’aurions jamais eu le moindre soupçon sans son élan, soutenu pendant tout une année académique.

Laurent Béghin , dans son copieux ouvrage, aborde tous les aspects de cette vie si diverse. Adoptant le dispositif chronologique, il alterne les informations strictement biographiques, depuis l’enfance et la scolarité liégeoises, les études, la guerre, la rencontre de Zénitta Tazief, qui sera sa compagne pour la vie, sa carrière universitaire, une autre guerre, son parcours officiel, et sa fin de vie en France, avec la lecture attentive et le commentaire de ses œuvres. Il passe en revue, en les situant à chaque période de la vie de l’auteur, tant les œuvres poétiques que les proses, romans et récits, et textes critiques, sans oublier les nombreux travaux de traduction, de l’italien en premier, mais aussi du russe et d’autres langues. Laurent Béghin, qui n’en est pas à ses premiers textes sur Vivier, s’attache aussi à l’homme. Il propose des documents d’archives inédits, concernant des domaines divers, tant en Belgique qu’à l’étranger. Il a consulté toutes les sources disponibles, du fonds d’Haroun Tazief, le beau-fils du poète, aux correspondances, publiées ou encore inédites, avec Marcel Thiry, Marie Delcourt, Jean Depaye, René Etiemble, et d’autres. Il a recueilli aussi des témoignages d’anciens assistants ou étudiants, lu des mémoires. On peut certes s’étonner du titre choisi pour cette étude, Vivier ou la religion de la vie, pour évoquer Vivier l’agnostique. Béghin a extrait ces mots d’une lettre de Marcel Thiry, adressée à Robert Vivier, pour caractériser ainsi l’œuvre de l’écrivain qu’il veut évoquer dans sa totalité, y compris dans ses aspects les plus humbles ou quotidiens. Manière aussi de signaler le parti-pris résolument littéraire et scientifique de son entreprise, qui comporte aussi une bibliographie complète et un index.

Jeannine Paque


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°179 (2013)