Perpétuellement à l’affût, c’est en passionné insatiable que Pierre Mertens nous ouvre, avec jovialité, les portes de sa bibliothèque personnelle, véritable théâtre de la mémoire. Dès l’entrée, la masse des livres impressionne ! Mais très vite, sous l’apparent chaos, un certain classement s’esquisse, où les aires géographiques littéraires se dévoilent et fragmentent la chambre d’écriture en l’ouvrant au chant des mots. Un tour du monde des auteurs qu’il a côtoyés, aimés, et qui continuent aujourd’hui de le faire vibrer. Au final, une déambulation en sa compagnie d’où l’on sort un peu ivre mais qui fascine et donne envie de repartir immédiatement vers d’autres espaces. Quand les livres n’en finissent plus d’en appeler de nouveaux…
« Ce soir, en rentrant chez moi, j’ai trouvé ma bibliothèque
effondrée au milieu de mon cabinet de travail[1]. »
Le Carnet et les Instants : Vos premiers souvenirs de lecteur sont-ils liés à la matérialité du livre, un type de papier, une illustration, un format, une odeur éventuellement ?
Pierre Mertens : J’ai été assez vite partisan du livre de poche ne serait-ce que parce qu’au sortir de la guerre, j’aurais difficilement pu m’offrir de belles éditions. Cela dit, esthétiquement, je garde le souvenir de la collection Nelson, des ouvrages de petit format avec un joli papier proche en somme de celui des livres de la Pléiade. Malheureusement, ce qu’on y publiait ne m’intéressait pas beaucoup. Je me souviens également des très élégants volumes de Jules Verne publiés chez Hetzel, dans ces merveilleux cartonnages rouges et dorés. Je n’imaginais tout simplement pas lire Vingt mille lieues sous les mers ou Cinq semaines en ballon autrement que dans cette édition, pas seulement à cause des illustrations qui étaient d’un raffinement inouï mais surtout de la beauté de l’objet. Pour être honnête, mon rapport à l’objet livre s’arrête un peu là. Si je possède une série de Pléiade par exemple, c’est avant tout pour l’économie de place dans la bibliothèque. En fait, quand je pense à la beauté d’un livre, c’est immédiatement la maquette sobre et épurée de la collection blanche nrf qui me vient à l’esprit. Même si j’apprécie beaucoup le cadre rouge du Seuil puisque c’est en quelque sorte ma « patrie », c’est davantage cette pureté, ce dépouillement un peu janséniste des livres estampillés collection blanche chez Gallimard que je trouve incomparable.
Lecteur précoce, vous avez rappelé, à plusieurs reprises, notamment dans vos entretiens avec Danielle Bajomée[2], l’importance de la découverte, à l’âge de quinze ans, du journal de Kafka dans un train entre Bruxelles et Genval. Pourrions-nous revenir un instant sur ce premier choc ? Vous souvenez-vous de l’édition que vous aviez à l’époque entre les mains ?
Il faut préciser que ce n’est pas tout à fait le premier livre de Kafka qui m’ait secoué puisque j’avais découvert, peu avant, La Muraille de Chine chez un gynécologue ! Ce qui est tout de même assez incongru ! (rires). J’étais en fait atteint d’une crise d’asthme la veille d’un examen de géométrie et d’algèbre. Prise au dépourvu, ma mère a pris contact en urgence avec son médecin afin de lui demander s’il ne pouvait pas m’administrer un calmant. Je suis donc tombé dans une salle d’attente encombrée de charmantes dames enceintes qui se demandaient, intriguées, de quel mal je pouvais bien souffrir. Mais il y avait là une bibliothèque qui regroupait deux thèmes, l’histoire de l’anarchie et les œuvres complètes de Kafka. Pour patienter, j’ai pris dans un rayon La Muraille de Chine. J’ai commencé à lire et ce fut le choc ! Une splendeur, une vision du monde que je n’avais encore jamais entrevue. J’ai ensuite très vite poursuivi par La métamorphose qui m’a secoué comme nul autre livre et puis seulement, j’en suis venu au journal car je désirais à tout prix savoir qui était l’écrivain qui se cachait derrière ces histoires fascinantes. Par rapport à l’édition, je me souviens très bien qu’il s’agissait de la traduction de Marthe Robert publiée chez Grasset en 1954. Mais pour être tout à fait franc, je connaissais déjà l’existence du journal intime de Kafka par le biais d’une édition antérieure qui regroupait des extraits remarquablement introduits et traduits par Pierre Klossowski et qui avait été publiée à La Guilde du Livre. Je pense donc que lorsque l’on est un jeune lecteur, ce que l’on cherche n’est pas toujours ce que votre entourage vous propose.
Vous balanciez entre deux bibliothèques, celles de vos parents divorcés où vous trouviez matière à nourrir votre passion de la lecture. De quelle bibliothèque provenait cette édition de Kafka ?
Je crois avoir trouvé cette première édition fragmentaire chez mon père. En effet, vous faites bien de le rappeler, ces deux bibliothèques auxquelles j’avais accès ont été importantes pour moi surtout parce qu’elles étaient très complémentaires. Tout un côté trotskyste, communiste chez ma mère ainsi que quelques grands classiques tout de même et du côté paternel, une littérature chrétienne plutôt subversive et à mon avis de bon aloi où je trouvais par exemple Bernanos, Greene, Mauriac ou Claudel. Donc, le week-end, je lisais chrétien et en semaine, je bouquinais socialiste et « trotsko » ! (rires)
D’autres souvenirs de lecture avant Kafka ?
Evidemment, comme tout le monde, j’ai fait le parcours classique en passant par Le grand Meaulnes, Le petit Prince ou Cesbron qui me tombait des mains d’ailleurs sauf peut-être Les innocents de Paris. Une fois que l’on passe à la vitesse supérieure, ce qui a été mon cas avec Kafka, il est très difficile de revenir en arrière. Cela dit, je voudrais relater une petite anecdote concernant Saint-Exupéry. Vers 13 ans, voyant que je lisais Pilote de guerre, ma mère m’a demandé si je m’intéressais aux avions. J’ai répondu pas du tout ! Ce qui m’attirait, c’était l’histoire d’amour sous-jacente ou plus précisément une histoire d’adultère. Et comme je n’avais pas encore lu Madame Bovary, c’est, d’une certaine façon, grâce à Saint-Exupéry que j’ai été initié à ces amours cachées. Ce qui est un peu inattendu, il faut en convenir !
« la bibliothèque maternelle changera de nature »
Très tôt donc, il y avait, pour vous, cet entourage, cette connivence avec les livres. Echangiez-vous vos impressions de lecture avec vos parents ?
C’est une des grandes gratitudes que j’ai à l’égard de mon père, celle d’avoir pu échanger avec lui des lectures. Je lui ai révélé de grands auteurs qu’il n’avait pas lus et inversement. Ce fut le cas avec Les fruits du Congo de Vialatte que je considère comme un des plus beaux livres sur l’adolescence, et que j’ai fait connaître à mon père. Concernant cette proximité avec les livres dont vous parlez, j’ajouterais qu’avant d’être biologiste, ma mère a travaillé dans une librairie bruxelloise, Cosmopolis, tenue par un juif. Grâce à ce lieu sacré pour moi, j’ai découvert très tôt, vers 10 ans, le roman américain notamment Dos Passos, Fitzgerald ou Hemingway. Par la suite, ma mère quittera cet emploi – ce qui m’attrista – pour entamer tardivement des études de biologie, domaine pour lequel elle semblait très douée. Elle deviendra d’ailleurs l’assistante de Jean Brachet à la faculté de Médecine de l’ULB et restera très proche de grands noms de l’époque comme Paul Brien ou Ilya Prigogine. Evidemment, la bibliothèque maternelle changera de nature, la littérature étant dès lors largement évincée au profit d’ouvrages scientifiques auxquels je ne comprenais pas grand chose. Néanmoins, il m’arrivait de les compulser. J’étais en fait attiré par le vocabulaire technique qui me fascinait littéralement, d’où peut-être ce goût pour la médecine et le lexique médical. Enfin, et toujours en écho à cet environnement livresque, je fréquenterai assidûment les librairies d’occasion et bouquineries parmi lesquelles celles de la galerie Bortier.
« Un livre sauvage et indomptable »
Dans la foulée de Kafka, votre champ littéraire s’élargit rapidement et vous découvrez d’autres auteurs qui vous marqueront profondément, Lowry, Musil, Woolf, etc.
Oui, tout s’enclenche à ce moment-là ! Lectures et écriture s’enchaînent puisque c’est littéralement Kafka qui me pousse vers la création. Ensuite et avant Lowry, la lecture de Proust m’a ravi. Puis, j’ai découvert Les désarrois de l’élève Törless de Musil qui reste pour moi un livre fondamental. Vinrent ensuite ses autres ouvrages, Trois femmes suivi de Noces et bien sûr L’homme sans qualités. Enfin, à vingt ans, l’autre choc fut la lecture d’Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry que j’ai découvert dans la traduction de Spriel et Francillon avec l’avant-propos de Maurice Nadeau et la postface de Max-Pol Fouchet. La révélation, celle d’un livre sauvage et indomptable au rythme « jazzé » incomparable !
Parmi ces influences, on trouve peu de poètes.
Oui mais malgré mon attirance évidente pour le récit, j’ai toutefois été très féru de Fargue, Baudelaire, Corbière, Rimbaud ou d’un oublié, Jean-Paul de Dadelsen, mort jeune, et qui a publié un recueil stupéfiant chez Gallimard intitulé Jonas, sans conteste un des trente livres que je retiendrais sur mon île déserte. Les poètes russes compteront aussi, Maïakovski ou Essénine. Mais effectivement, ce qui me fascine, c’est avant tout la poésie dans le roman, ce que l’on retrouve chez Lowry, Flaubert ou Proust.
Et parmi les contemporains français, quels étaient les noms qui attiraient votre attention ?
Mes premières influences sont étrangères en effet mais forcément je lisais aussi Camus ou Sartre pour lesquels j’avais un grand respect sans toutefois ressentir de véritable passion. Par contre, j’ai très vite entretenu une fervente admiration pour Malraux et pour certains de ses livres peut-être moins connus comme Les noyers de l’Altenburg ou Le Temps du mépris. J’ai beaucoup écrit sur lui car il continue de m’intriguer surtout à cause de la diffamation qu’il suscite continûment. Un long article lui est d’ailleurs consacré dans le dernier recueil[3] d’essais que j’ai fait paraître l’année dernière. Enfin, certains autres livres d’auteurs français m’ont marqué pour de multiples raisons comme Le Hussard sur le toit de Giono qui a compté ou encore Le sang noir de Louis Guilloux. J’ai repris dans L’agent double[4], sous un chapitre intitulé « Curriculum lecturae », toute une série de livres et d’auteurs qui ont joué un rôle non négligeable à un moment ou à un autre.
Avant de faire le tour de votre bibliothèque, je voudrais revenir sur quelques aspects plus intimes par rapport au livre, à sa texture. Dans Terre d’asile[5], vous écrivez à propos du rapport qu’un des personnages du roman entretient avec les livres : « Oui, on pourrait dire de lui qu’il a beaucoup aimé les livres. Comme, d’un autre, on dirait qu’il a beaucoup aimé les femmes ». Y a-t-il aussi chez vous ce rapport charnel voire corporel avec le livre, tant on sait que le vocabulaire du livre est proche de celui du corps. On parle en effet des nerfs d’une reliure, du grain du papier comme de celui d’une peau, etc.
Oui c’est charnel ! Je dirais même presque érotique. Il m’est arrivé de rentrer dans des librairies avec l’émoi de celui qui se rend au bordel ! Quand j’étais encore vierge de littérature comme on peut l’être sexuellement, j’avais, en entrant dans certaines bouquineries, ce sentiment un peu étrange de pénétrer dans un endroit mystérieux. Un lieu attirant où les livres brillant dans l’ombre se faisaient désirer. On peut désirer des livres comme des corps, ressentir un plaisir, une voracité à l’approche du livre convoité. Et pourtant je ne suis pas bibliophile. Cela dit, je peux tomber en arrêt devant un bel objet. Parfois, une belle reliure peut m’émouvoir. Mais je ne peux toutefois me contenter du seul aspect extérieur. C’est avant tout le contenu, la densité du texte, sa poésie, son organisation qui me retiennent et me font vibrer.
« Les livres sont en mouvement »
En entrant chez vous, on est immédiatement frappé par la masse des livres, des documents, journaux, fiches et dossiers qui débordent. Mais rien de tout cela ne paraît inerte, on est plutôt face, me semble-t-il, à une bibliothèque ouverte, en mouvement.
Derrière l’apparent désordre et le côté disparate, il y a un fil conducteur qui court à travers l’ensemble de mes bibliothèques. Il y a en somme, dans ce fatras pluriculturel et a priori anarchique, un classement assez méthodique, souvent par aire géographique, qui me permet de retrouver un livre sans trop de difficultés. Au-delà de cela, effectivement, les livres sont en mouvement. Je les manipule, les change de place de sorte qu’ils voyagent constamment au sein même de l’appartement. Les livres s’engendrent et s’alimentent les uns les autres. Contrairement à ce que l’on croit, le livre est toujours le début d’un dialogue. Ce n’est pas quelque chose de fermé, de clos sur soi. Même si certains auteurs créent une impasse. C’est le cas de Kafka qui interdit d’une certaine façon la succession, l’héritage. Tous ceux qui ont tenté de le pasticher, de l’imiter ou de le singer se sont cassé les dents car Kafka claque les portes en partant. Enfin, il ne les claque pas vraiment, il les ferme plutôt doucement parce qu’il est poli ! (rires).
Avez-vous forcément besoin d’être entouré de livres pour écrire ?
Non, quand je vais en Provence pour écrire, j’en emporte peu, quatre ou cinq que généralement d’ailleurs je ne lis pas. Ou bien, je passe avec moi-même un contrat. Je me dis que si j’ai assez écrit dans la journée, tant de pages ou de lignes, alors je m’octroie le droit de lire. Si je n’ai pas bien travaillé, ma punition sera de me priver de lecture. À ce propos, je peux très bien rester des jours sans lire. Par contre, il est rare que je passe une journée sans écouter de musique. Quand je suis parti vivre un an à Berlin, j’avais emmené une malle de livres que je n’ai pratiquement pas ouverte. Bien sûr, dans certains cas, j’ai besoin d’une documentation importante mais il s’agit alors de littérature utilitaire. Je l’ai déjà mentionné, la littérature médicale me passionne et je possède une bibliothèque entière consacrée à ce domaine qui m’a entre autres servi pour la rédaction du roman Les éblouissements. Pour Terre d’asile, je me souviens avoir lu plusieurs ouvrages sur l’hydrologie puisque mon personnage est féru de barrages. C’est ainsi qu’on apprend beaucoup de choses quand on est écrivain, on se passionne pour certains sujets, on se documente.
Je propose que nous fassions un tour du propriétaire. Quelles sont les grandes sections que l’on retrouve dans votre bibliothèque ?
Vous verrez que j’ai des livres partout sauf peut-être dans le congélateur comme me l’a, un jour, fait remarquer ma femme d’ouvrage. On peut commencer par cette armoire, proche de mon bureau, où l’on retrouve toute une série de monographies, d’essais, de dictionnaires essentiellement sur les dix-neuvième et vingtième siècles qui iraient disons de Chateaubriand à Beckett. Je conserve aussi ici une pile de livres à lire parmi lesquels W. G. Sebald que je suis en train de découvrir avec émotion ou encore l’œuvre d’Iris Murdoch qui me titille beaucoup pour le moment. Toujours dans cette pièce, j’ai rassemblé les domaines italiens et français essentiellement du vingtième siècle qui voisinent avec un autre ensemble constitué d’essais mais plus pointus comme les Cahiers de l’Herne, des ouvrages sur Perec que j’ai bien connu ou les essais de Pascal Quignard. Dans le vestibule, on trouvera une petite bibliothèque qui regroupe, de manière un peu fortuite, les Belges et les Québécois. On peut y trouver Christian Dotremont ou Réjean Ducharme que j’adore tout particulièrement. Il faut lire absolument son livre intitulé L’avalée des avalés qui est un véritable chef-d’œuvre. Un peu plus loin, un très gros morceau, les Russes, les Soviétiques, les Scandinaves et les Japonais ou Chinois sur les autres rayonnages. On peut citer quelques noms en vrac : Hamsun, Dagerman, les écrits d’Ingmar Bergman, Enquist, Tchékhov bien évidemment qui occupe une place privilégiée, Dostoïevski que j’ai lu très tôt, Pouchkine aussi. Parmi les asiatiques, Mishima que j’aime énormément, Kawabata ou encore Kenzaburo Oe.
« C’est un peu l’enfer de ma bibliothèque, en sous-sol ! »
Conservez-vous à part les livres qui vous sont dédicacés ?
Non, ils sont dispersés au milieu des autres mais je sais où ils se trouvent. J’en reprends de temps en temps certains pour me souvenir de ce que l’auteur m’écrivait. C’est amusant et parfois touchant. J’ai notamment quelques ouvrages dédicacés par Pasolini auxquels je tiens beaucoup. Nous poursuivons la visite par une autre section qui comprend la philosophie, la psychanalyse et les ouvrages de médecine dont je vous parlais. Une autre armoire encore qui reprend les auteurs latino-américains, espagnols ou portugais. Vous constatez qu’il y a tout de même un classement. Toutefois, je place rarement côte à côte des écrivains qui ne s’aiment pas. Je les mets à distance, il ne faut pas leur faire de peine ! Dans la chambre, c’est plus étonnant, plus hétéroclite. On dénichera des journaux intimes, un peu de poésie comme les recueils de Perros, la plupart des œuvres de Bataille ou de Cioran. Quelques livres singuliers qui m’ont frappé à un moment donné. Je pense au livre de Monique Wittig, L’Opoponax, paru en 1964 et qui avait été soutenu par Marguerite Duras. Les livres d’Hervé Guibert, de Jean Reverzy. Une partie est aussi consacrée aux camps et à la déportation. Mais on peut également mettre la main sur un Leiris ou un Nizan. Et vous voyez que j’ai même sur ma table de chevet une Bible, dans la traduction de Lemaistre de Sacy qui est d’une poésie inouïe ! C’est d’une beauté ineffable ! Dans le second vestibule, je possède une petite curiosité, une collection de livres d’auteurs suicidaires (Mishima, Gary, Hemingway, Pavese, Zweig, etc.) ou d’essais sur le suicide bien que je ne sois nullement tenté moi-même par cette expérience (rires). Mais je suis intellectuellement fasciné par le sujet. On peut mentionner les autres domaines géographiques, l’Europe centrale avec des auteurs comme Rilke, Musil, Gombrowicz, Kadaré, Hofmannsthal, Magris. Quelques auteurs turcs et grecs également où l’on retrouve Vassilikos ou Hikmet. Aussi toute une collection de revues que je conserve ici, principalement la nrf et Esprit. Mais le saint des saints, c’est peut-être dans cette dernière chambre et cette armoire munie de rideaux qui lui donne un côté un peu théâtral, que j’ai héritée de ma grand-mère, et dans laquelle j’ai rassemblé ma garde rapprochée, le domaine allemand. C’est un peu paradoxal puisque les livres y sont dissimulés, cachés alors que c’est sans doute la partie de la bibliothèque dont j’aurais le plus de mal à me séparer. Tout y est ! Kafka que j’ai préféré mettre ici, Gottfried Benn, Georg Trakl, Walter Benjamin, Heinrich von Kleist pour lequel j’ai une admiration sans bornes et qui fait partie de mes « suicidés » favoris, Alfred Döblin, Peter Handke, Ingeborg Bachmann, Max Frisch et tant d’autres. Pour terminer, tout un pan de mur reprend le domaine anglo-saxon partagé entre les américains et les anglais ; Graham Greene que j’apprécie beaucoup. Son livre sans doute le plus désespéré, d’une noirceur extrême, Le Rocher de Brighton, fait d’ailleurs partie d’une liste d’ouvrages que j’ai envie de relire pour le moment. Vous voyez que c’est assez complet, Styron, O’Connor, Thoreau, Dylan Thomas, Ezra Pound, Dos Passos, Faulkner, Updike, Saul Bellow, William Gaddis, Nabokov, etc. Enfin, tous des auteurs que j’ai lus avec passion.
Mais ce n’est pas fini puisque je dois signaler que j’ai deux parties de ma bibliothèque qui se trouvent chez des amies, l’une reprenant une partie importante du domaine anglo-saxon et l’autre consacrée au théâtre. Reste finalement à vous montrer une dernière enclave, une cave étanche que je loue dans l’immeuble puisque je n’ai plus de place ici et dans laquelle j’ai entreposé des livres d’histoire, des ouvrages sur la musique et le cinéma ainsi que quelques exemplaires de littérature érotique. C’est un peu l’enfer de ma bibliothèque, en sous-sol ! Et pour être tout à fait complet, j’avais une bibliothèque d’un millier de livres dans une salle de lecture de la clinique César de Paepe. Aujourd’hui la salle n’existe plus et, aux dernières nouvelles, les bouquins sont en caisses. J’espère qu’ils n’ont pas été dilapidés. Il s’agissait de livres traitant pour la plupart de la maladie qui étaient susceptibles d’intéresser à la fois les patients et les médecins.
Et vos propres ouvrages ?
Ils sont à différents endroits, j’ai seulement regroupé dans un placard toute une série de traductions de mes ouvrages ainsi que des contributions ou articles dans différentes revues.
Prêtez-vous facilement vos livres ?
Je garde une pile de livres en double exemplaire à donner car quand j’aime un livre, je ne le prête pas volontiers. Je préfère l’offrir.
Dernière question, avez-vous l’habitude d’annoter les livres que vous lisez ?
Souvent, je plie ou corne sans vergogne les pages. Par contre, je n’ai pas l’habitude d’annoter directement dans le texte ou alors, j’inscris quelques notes au crayon sur les pages blanches en fin d’ouvrage. Il y aurait une certaine forme de viol à écrire à la plume dans le corps des livres !
Rony Demaeseneer
[1] Pierre MERTENS, Une vie illisible, nouvelle parue dans le recueil Les phoques de San Francisco, Paris, Seuil, 1991, 156 p.
[2] Pierre Mertens l’arpenteur, textes, entretiens, études rassemblés par Danielle Bajomée, Bruxelles, Labor, (Archives du Futur), 1989
[3] Pierre MERTENS, Le don d’avoir été vivant, essais, Paris, Ecriture, 2009, 319 p.
[4] Pierre MERTENS, L’agent double, Bruxelles, Ed. Complexe, 1989, p. 53
[5] Pierre MERTENS, Terre d’asile, Paris, Grasset, 1978, 318 p.
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°163 (2010)