Blabla le grand compilateur
André BLAVIER, À propos des fous littéraires, Editions des Cendres, 2001
Le 9 juin 2001, il a cassé sa pipe pour aller on ne sait où s’occuper d’homélies. Depuis, ses imprécations, ses pertinentes impertinences, sa chevelure d’Indien navajo, ses commentaires qu’il baptisait « note à benêts » nous manquent. « Je raconte parfois n’importe quoi, hein ! », confiait, en chattemite, André Blavier lors de l’entretien — dont voici la transcription fidèle, juste un rien toilettée — qu’en mai 2000 il eut avec Stéphane Fleury : quand, en 1942, à la bibliothèque de Verviers, il ouvre Le chiendent et Les enfants du limon, il pense : « Tiens… un dingue ! » et se ravise subito presto : « Et puis, très vite, j’ai adoré. » On parcourra, dans une fort élégante plaquette, la genèse de son hénaurme compilation des Fous littéraires ; ne nous y attardons pas, je l’ai racontée ailleurs. Ce qu’on goûtera sans doute davantage, chacun selon son tempérament, ce sont les saillies d’une langue vipérine : Breton « était pour l’art magique, oui, mais il était surtout pour le trésor qu’il découvrait sur quelque brocante… » Ses joyeusetés iconoclastes : « Le christianisme, c’est une secte qui a réussi. Jusqu’à quand ? J’espère le moins longtemps possible… C’est une opinion personnelle. » Sa tendresse désolée pour un Raymond Queneau dépité, à ses débuts, par son peu d’audience : « II tenait minutieusement compte du nombre d’exemplaires de ses premiers romans. Ça se comptait en dizaines ou en centaines tout au plus. » Sa mise en boîte des politiques : lors d’élections communales verviétoises, dans les années 80, Blavier fit campagne sur la liste Écolo et colla son slogan sur les bouches de ses adversaires : « Blablabla ». Son flair de farfouilleur : après la mort de Queneau, il retrouve les centaines de pages de son dossier sur les fous littéraires dans la gaine de cheminée du chauffage central ! Enfin, qu’il s’étrangle de rire en contant une fort leste histoire de vaseline n’étonnera guère de la part du prolifique auteur de La cantilène de la mal baisée. Décidément, Blavier, ça n’était pas de la Roupie de cent sonnets !
Pol Charles
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°122 (2002)