Le Blavier mal tempéré

andré blavier 1

André Blavier

Les Oulipiens marqués * sont dispensés des réunions pour cause de décès dit le site fatrazie.com. André Blavier s’est dispensé le 9 juin 2001[1]. Le lecteur carnétiste et instantané – mais néanmoins bimestriel – le sait, il l’a entendu, lu ou vu. Nous voilà donc libérés d’une oraison funèbre sur ce pourfendeur de philistins.

Ubiquité ? Voyages : oui, à Thiers, en pleine guerre, pour y consulter les archives de Francisque Tapon-Fougas, déposées en 1880. Et Blavier, non sans émotion, en brisa le premier les scellés. Son virus de la recherche, celle des Fous littéraires, avait déjà croisé celui de Queneau et ses Enfants du limon, qui reçut une lettre de lui en 1949. D’où 27 ans de correspondance (éditée chez Labor), rencontres, amitiés, érud- et éditions. Et à Cerisy-la-Salle en 1960, un colloque Queneau anthume, procréateur de l’OuLiPo ; à Ostende (pour le mot os-tendu).

UBUquité[2] certes – le lecteur avait redressé de lui-même ! Voilà qui est plus adéquat, dès 1952, depuis son entrée au Collège de ‘Pataphysique aux mouvements satrapiques, menant en 1970 à L’Ubu rwè mètou è lidgwès.

Né en 1922 à Verviers, le petit André s’insurge : Hodimont ! je suis né à Hodimont ! qui a subi une fusion avec Verviers dès 1930… je suis donc un irridentiste hodimontois, bibliothécaire puis potard pensionné du Larousse unicervelle, pour entrer ensuite en anadolescence, il laissa ses cheveux croitre nénufaresquement pour faire enrager les gens de la ville. Sachant que, à 19 ans, Raymon Queneau mesurait 1m78, que Blavier avait une tête de moins que lui adulte, et qu’il taillait 3 fois cette toison, de quelle longueur était-elle ? 52,3 cm.

Mais encore ? temps mêlés ! revue aux 150 numéros, pour devenir Documents Queneau, après l’entrée de Queneau en quenitude, de 150+1 à l’ultième +68 en 1996.

Et en 1979, compilateur scrupuleux et indépendant des Écrits complets de Magritte : « non un peintre mais plus qu’un peintre : un révélateur, mais de quoi, il a lui-même bien du mal à le dire ou l’écrire, mais, il le montre ».

Autre somme Le mal du pays ou les travaux forc(en)és : « Je sais l’art d’évoquer l’amour en un seul vers – Flanqué de quatre mille et un supplémentaires ! »

Lequel ? pour moi, son 3645ème alexandrin : « Je te vous nous vous elle et qui que quoi dont soit ».

En lisant : Aubaine pour les lecteurs autant que pour les commerçants en hagiographie ravis d’exagérer sans scrupule les contrastes  (génie + sexualité + sainteté, quel tiercé), ce découpage anecdotique a autant fait pour le succès des *** qu’il a contribué à en occulter le sens… Je pense à Blavier avec  Les confessions de Saint Augustin, présentation d’André Mandouze… Saint-Blavier, je vous offre cette phrase !

Et pourquoi 4002 ? Comme la chanson de Roland, la première épopée en français, et donner rien de moins que la dernière.

Écrit en 1950, paru en 1976, Occupe-toi d’homélies est une fiction policière et éducative dont je connais par cœur les pages 29-31, écho d’Aragon dans son Traité  du style, Rien que le glou glou glou (deux pages de glous)… de la baignoire qui déborde d’une belle palilalie ! En fait, la diction blaviéresque était celle d’une baignoire qui fuit.

1982 : après quarante ans de travaux, parution des Fous littéraires, deux rééditions en 2000-2001, la somme en 1 150 pages sur tous ces excentriques décentrés. Et la gloriole pour le libraire qui en déniche un « pas dans le Blavier ! ».

Et si, pour rendre hommage à la Belgique Sauvage, une plaque honorait sa rue à Verviers, qu’elle porte « Rue Odette et André Blavier » – à Odette qui les confond toutes, confondre : quatrième sens chez Littré[3] – cette plaque serait reconnue par les visiteurs du Centre de documentation Raymond Queneau, y établi grâce à lui depuis 1977, qu’ils soient jésuite queneauticien et nebraskais, thésard tokyote, louvaniste littéraire, troisième cycliste australienne ou colloquant luxembourgeois.

À septante-neuf ans Blavier est mort le jour de « l’interprétation de l’umour » où l’Agenda sempiternel (car prérempli scientifiquement par la Sous-Sommission des Incompétences réalisatrices du Collège de ‘Pataphysique) lui enjoint de « frapper sur l’épaule du hasard en l’appelant par son nom ».

Jean-Michel Pochet


[1] Après d’autres astérisqués tels Calvino, Duchamp, Perec, et ce 25 juillet 2001, Jacques Bens, préfacier d’André Blavier chez Labor.
[2] Alain Delaunois et Jean-Pierre Verheggen, André Blavier, Le don d’ubuquité, Devillez, 1997.
[3] Réduire à l’impuissance.


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°119 (2001)