Madeleine Bourdouxhe, À la recherche de Marie

Le réveil de Marie

Madeleine BOURDOUXHE, A la recherche de Marie, Actes Sud, 2009

bourdouxhe a la recherche de marieEst-ce parce que La femme de Gilles reste si vivant, si présent dans notre mémoire? Ce livre d’amour et de douleur, de bonheur et de désespoir, d’une simplicité et d’une justesse rares, nous a étreint le cœur, et son héroïne, Elisa, est de celles qu’on n’oublie pas.

Notre attente était grande, à l’instant d’ouvrir A la recherche de Marie, le deuxième roman de Madeleine Bourdouxhe, publié en l943, six ans après La femme de Gilles, réédité déjà  (sous un autre titre) en l989, et qui paraît aujourd’hui chez Actes Sud. Avouons, à regret, notre déconvenue.

Mariée à Jean depuis six ans, Marie s’est lovée dans le personnage de l’épouse aimante, attentionnée, docile et tendre. Apparemment comblée. Célébrée par ses amies comme «amoureuse entre les amoureuses, fidèle entre les fidèles».

Et voici qu’un regard, une silhouette de jeune homme, sur la plage des vacances, bousculent la sage harmonie qu’elle a construite au fil du temps et porte à bout de bras, avec une radieuse assurance. La douceur de la vie familière, de la réalité apprivoisée, vacille à l’appel irrésistible d’«une réalité à deviner, à saisir, à faire sienne. Le monde du possible ; l’attrait, le vertige d’un monde  neuf».

Elle a trente ans, la plénitude lui semble soudain trop ronde, trop calme. Au creux de son cœur, de son corps, une Marie de seize ans, intacte, aspire à renaître. À oser l’aventure, l’embrasement.

Entre l’éblouissement de «ce grand désir inapaisable» qui se renoue à chaque rencontre avec son jeune amant, dans une chambre de hasard, et la tendresse conjugale, la chaleur tranquille du foyer, Marie ne choisira pas. Mais «ce bel amour tout neuf, ce secret de clarté», qu’elle garde farouchement caché, l’ouvre à «l’étrange et dure jouissance de la disponibilité». Devient un noyau d’indépendance. Sa vérité, dégagée des belles images, des rassurantes certitudes qui l’étouffaient.

Autour d’elle, les personnages existent à peine. L’époux, gentiment protecteur, à la bienveillance un peu simpliste, ne s’aperçoit de rien. Du séduisant éphèbe, nous ne connaîtrons que le beau visage, les épaules étroites, les assauts ardents. Et elle-même, Marie, cet ange du foyer qu’une soirée sans son Jean plongeait dans la détresse, et qui découvre, sans l’ombre d’un déchirement, qu’elle s’est intimement séparée de lui, Marie ne parvient guère à nous convaincre, à nous émouvoir. Même quand, aux dernières pages, se promenant dans un soleil d’hiver, elle médite sur le voyage  intérieur accompli en une saison.

Elle sait désormais qu’elle aimera toujours Jean, de tendre amitié. Et qu’on ne se libère pas en désertant: «la libération se fait au sein même de ce que l’on n’abandonne pas». Elle espère que l’amour qui l’a révélée à elle-même durera, mais il peut aussi pâlir, s’éteindre. Pourquoi s’en effrayer ? «Une chose n’est grande et émouvante que lorsqu’elle contient une possibilité de mort.»

Au-delà de ces visages de son cœur, ce qu’elle perçoit à présent, c’est «le grand visage du monde». Ce qu’elle éprouve, c’est un accord profond avec la vie, regardée en face. En somme, tout est bien… Que vous en semble ?

Francine Ghysen


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°157 (2009)