Étrange et familier
Jean-Pierre Bours, Celui qui pourrissait et autres nouvelles, L’arbre vengeur, coll. « L’arbre à clous », 2012
Nouvelle collection de l’éditeur girondin L’Arbre vengeur, l’heureusement nommée « L’Arbre à clous » est dédiée aux « plumes, ou plutôt [aux] bonnes feuilles belges » et placée sous la direction de Frédéric Saenen. Le premier clou planté dans ce tronc prometteur est une réédition de l’une des rares (avec La Nuit du jugement) incursions de Jean-Pierre Bours dans le monde de la fiction : Celui qui pourrissait, recueil de dix nouvelles paru in illo tempore chez Marabout – et Prix Jean Ray 1977, tout de même.
Au menu, donc, dix textes courts qui voyagent de Londres à Marcoussis, de 1888 à nos jours. De récits emboîtés en pastiche du roman médiéval, de lipogramme en « poème », le nouvelliste explore avec gourmandise les possibles du genre.
La singularité de chaque texte n’altère pas la cohérence du recueil, assurée par la discrète résurgence de motifs tels que le monde du prétoire (l’auteur fut avocat fiscaliste) ou une fascination pour la main (du médecin, du tueur, de l’anatomiste). Les nouvelles s’inscrivent aussi dans un dialogue avec la tradition littéraire, par le jeu des exergues et les références à Stevenson, Sade ou Pauline Réage. Mais le nœud de l’entreprise, c’est, évidemment, ce fantastique qui innerve tout le recueil. Il naît, lit-on, « de l’accumulation de mots savants ou imaginaires », et l’on resonge alors à ces purulents anthrax, papules, lupus, pemphigus et autres exanthèmes exsudant du récit inaugural. Mais l’étrangeté surgit aussi, toujours, du décor quotidien, de ce moment où par une « sournoise et sinistre alchimie », le personnage devient cet autre méconnaissable pour lui-même et autrui, et où le récit bascule vers une autre réalité, « hypothétique comme le sont les plus belles ».
Nausicaa Dewez
Article paru dans Le Carnet et les Instants n°176 (2012)