Caractères de police : Barthélemy Dussert de Xavier Hanotte

Ils sont détectives privés, commissaires, simples flics ou bouquinistes… De livre en livre, ils baladent leur tenue caractéristique, reproduisent leur méthode d’enquête plus ou moins infaillible, imposent leurs petites manies. « Caractères de police » est une série consacrée aux héros et héroïnes du roman policier belge.

Dès son premier roman, Xavier Hanotte mêle deux esthétiques : l’intrigue policière, soutenue par un réalisme précis, et l’ouverture à une forme d’irrationnel, dans la perspective du réalisme magique. L’enquête policière se double également d’une quête existentielle pour les principaux personnages.

Parmi ceux-ci, l’inspecteur Barthélemy Dussert qui apparaît dans quatre romans et dans la nouvelle « À la recherche de Wilfred ». Entré à la police « pour oublier, rompre les ponts », affecté à une brigade de la police judiciaire à Bruxelles, il est plus enclin à rechercher une certaine vérité que la justice. C’est lui le narrateur des récits, ce qui permet de suivre au plus près ses questionnements policiers mais aussi ses doutes et ses interrogations personnelles : « On ne devient pas flic pour répondre à des questions, mais pour les poser », et surtout pour se les poser. À ses yeux le métier de policier nécessite de réagir à l’action des autres mais n’implique pas de responsabilité ni d’invention. Cette conception du métier va bien sûr conditionner sa manière de mener l’enquête, mais aussi sa manière de mener le récit qu’il en tient, engendrant un conflit entre, d’une part, le caractère rationnel de la réflexion et, d’autre part, ses intuitions et l’acceptation des hasards et des coïncidences.

hanotte maniere noire

L’inspecteur Dussert fait preuve d’une forme de passivité qui, au final, permet de trouver la réponse à la question non formulée que pose celui sur qui il enquête. C’est le coupable qui le guide et parfois le manipule, pour faire advenir une vérité qui n’est pas que policière. Dans De secrètes injustices, Debruyne, auteur du crime, révèle et dissimule à la fois les raisons qui l’ont poussé à commettre cet acte, comme si Dussert par sa perméabilité était seul à même de comprendre son geste, qui en devient dès lors acceptable et presque légitime. Dans Manière noire, c’est Maghin qui pousse Dussert à la confrontation, l’inspecteur et le malfrat se retrouvant unis dans un jeu de doubles, où les rôles auraient pu s’échanger. Dans Le couteau de Jenufa, dont le prétexte policier est fort léger — la disparition d’un écrivain —, un homme dont la véritable identité reste énigmatique ouvre à Dussert la voie vers une dimension insoupçonnée. Le bref roman Passé le pont raconte une intervention maladroite de Barthélemy, rattrapée par un personnage à l’existence floue. Toutes situations où le policier est autant un spectateur acceptant les facettes de l’inconnu qu’un acteur quelque peu passif.

En dehors de son travail, Barthélemy Dussert s’attelle à traduire le poète anglais Wilfred Owen. Entre le poète-soldat de 14-18 et l’inspecteur se crée ainsi un lien très fort, à tel point qu’Owen intervient dans le récit. Ses interventions se font dans le cadre de rêves ou aux états limites de la perception, si bien que la réalité de sa présence reste floue. Néanmoins, le poète, par des voies détournées, éléments étranges que Dussert est le seul parmi ses collègues à percevoir, fait affleurer des pistes d’explication qui s’avèrent décisives.

Les relations de Dussert avec ceux sur qui il enquête ne sont pas seulement celles d’inspecteur à d’éventuels coupables : ceux-ci apparaissent comme des doubles de lui-même. Sa personnalité ne peut se décrire et se comprendre que par rapport aux miroirs que lui tendent les autres, spécialement ceux qui posent un acte de rupture. Wilfred Owen assume alors un rôle médiateur entre les protagonistes.

L’engagement d’Owen dans l’armée en 1916 s’explique par sa volonté de fuir une réalité où il ne se sentait pas à sa place. Motivations proches de celles de Dussert dont les interrogations personnelles et la fascination pour le poète anglais le mènent à se lancer dans un projet d’écriture. Dans De secrètes injustices, à partir de ce qu’il lit sur les tombes et dans les registres des cimetières, il essaye de reconstituer certains aspects de la vie des soldats de l’armée britannique enterrés à Ypres, entreprise de mémoire pour lutter contre l’oubli.

Les nouvelles de Xavier Hanotte se concluent sur une révélation soudaine, une forme d’épiphanie faisant surgir une signification jusqu’alors ignorée. À leur façon, celles-ci sont analogues à la résolution d’une enquête policière. De façon significative, une des plus belles et plus fortes épiphanies conclut la nouvelle « À la recherche de Wilfred » où Dussert n’enquête pourtant pas, se contentant de marcher dans les pas d’Owen à Bordeaux.

Les romans ne se résument pas à un récit policier. Une intrigue amoureuse se mêle étroitement aux enquêtes. La vie sentimentale de Barthélemy est compliquée ; c’est d’ailleurs pour oublier une déception amoureuse qu’il s’est engagé. Peu à peu, entre sa collègue Trientje et lui se construit une relation apaisante et heureuse, en contraste avec les doutes que suscitent chez lui les personnalités des suspects.

Xavier Hanotte aime jouer avec les niveaux de réalité. Si l’inspecteur traduit Owen, il est logique que le recueil publié du poète anglais porte son nom en tant que traducteur, avec la collaboration néanmoins de Xavier Hanotte. C’est ainsi que le policier Barthélemy Dussert est, réellement, repris comme auteur au fichier de la Bibliothèque nationale de France.

Joseph Duhamel


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°215 (2023)