Ce qu’on retiendra de moi en 2019 ? Je ne suis pas prophète et je n’en sais rien. Tout ce que je puis vous en dire, c’est ce que j’ai tenté de faire de ma vie.
Un destin que je n’ai pas choisi m’a rangé au nombre de ces êtres étranges qu’on appelle ‘écrivains’ et qui ont reçu vocation de donner forme et couleur à leurs songes par le moyen de l’écriture. J’aurai donc été avant tout un homme occupé par des rêves, fasciné par un certain nombre de hantises qui sont progressivement devenues les leitmotive de l’ensemble de mon travail. Ces hantises et ces rêves, j’ai tenté de les transmuer en poèmes ou en créatures qui ne sont faites que d’encre et de papier, mais qui sont habitées par une âme et animées par ce mouvement qui s’appelle la vie.
Cette vocation dont j’ai reçu la charge n’est nullement un don gratuit : je pense qu’elle répond au besoin atavique, informulé, dérisoire et pathétique que tout artiste éprouve de nier sa propre mort. Toutes les formes de l’art incarnent notre volonté instinctive de combattre ce qui nous détruit. J’écris pour défier le néant : un poème, une pièce, un roman jouent pour mon bonheur le rôle de ces châteaux de sable, qu’enfant, tout en les sachant périssables, j’élevais contre la marée au bord de la mer.
Ainsi, j’écris parce qu’en dehors de l’amour, l’écriture est pour moi l’unique moyen d’accès à un au-delà sur cette terre. J’écris parce que l’écriture suscite en moi une émotion qui est de l’ordre inexprimable du frôlement d’aile ou du frisson. Parce qu’elle m’accueille dans un « ailleurs » magique où les apparences n’ont plus cours et qu’elle m’apporte la certitude que derrière l’écorce des choses, palpite un autre monde qui échappe à notre pouvoir.
Voilà pourquoi j’écris… Pour le reste, je ne puis que passer la parole au narrateur des Jardins du désert : « Arrivé au bout de ma route, ayant fait ce que je pouvais avec mes moyens infimes, je suis seul, et j’attends dans le noir et dans l’espérance ».
Charles Bertin
Texte publié dans Le Carnet et les Instants n°100 (1997)